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Chroniques
un trio volontaire
Stéphanie-Marie Degand, Laure Favre-Kahn et Alexis Descharmes
La formule est simple et efficace : trois week-end de concerts, à 19h, au Pavillon des Azalées, dans le jardin des Serres d’Auteuil (l’entrée s’effectue avenue Gordon Bennett), font entendre de jeunes solistes dans un cadre agréable, lumineux et nettement moins protocolaire qu’une salle parisienne habituelle. Précisément cela s’appelle Les nouveaux solistes, heureuse initiative que l’on doit à Anne-Marie Réby. Ne vous y méprenez cependant pas : le programme de ces moments musicaux n’a rien de relâché, ainsi qu’une nouvelle fois on le constate, les artistes du jour proposant des choix denses, courageux, qui nécessite de s’y engager.
Pour commencer, les saveurs aigres-douces de la Vocalise de Sergeï Rachmaninov, mélodie sans parole pour soprano et piano dont existe une version violon-piano que jouent Stéphanie-Marie Degand et Laure Favre-Kahn. On entend souvent cette mélopée faussement nonchalante qui pourrait bien faire office d’amuse-gueules à des œuvres plus intenses ; ces en proposent une lecture sensible, d’une sonorité volontiers moins anodine qu’on s’y attend, ne se contentant pas d’un joli moelleux et osant la plainte, le contraste et l’expressivité, sans accuser trop le pathos intrinsèque. Puis nous écoutons la Danse Orientale Op.2 du même Serioja, composée deux ans plus tard, pour tout dire lorsqu’il avait dix-neuf ans, qu’il quittait à peine l’enseignement d’Arenski et Taneïev, quelques mois avant d’effectuer sa première tournée de pianiste virtuose. Ce n’est certes pas l’influence des deux maîtres cités que l’on remarque dans cette page, mais plus celle de Rimski-Korsakov et de Balakirev et des orientalismes notoires de leur facture. La pièce rend principalement compte du travail du compositeur sur Esmeralda, projet d’opéra d’après Hugo qui ne jamais verra le jour, et Aleko, d’après Les Tziganes de Pouchkine, qui sera créé au Bolchoï en mai 1893. Dans cette Danse de nombreux commentateurs ne voulurent voir qu’une complaisante romance de salon ; elle marque pourtant la découverte toute nouvelle pour son auteur de l’univers particulier de Rimski-Korsakov pour lequel il développera ensuite une admiration sans borne. Alexis Descharmes la faire entendre dans toute la grâce qui lui revenait, soignant exquisément la sonorité, tandis que le piano de Laure Favre-Kahn fait confiance au grand dépouillement de sa partie, sans céder au moindre effet, ce qui rend caduque toute idée de mignardise. Le violoncelliste confie au public qu’il joue Rachmaninov pour la première fois : voilà de quoi donner envie de l’applaudir un jour dans l’Opus 19 !
Violoniste et violoncelliste ont choisi de donner Duomonolog composé par Wolfgang Rihm il y a une quinzaine d’années. Plutôt que de s’en tenir à l’interprétation, encore en disent-ils quelques mots avant l’audition. Stéphanie-Marie Degand présente le musicien, ses alternatives, sa carrière et les grandes étapes de son parcours. Quant à Alexis Descharmes, il propose un exposé de Duomonolog, s’attache à nous en révéler autant le style que l’idée, comme aurait dit le « grand réformateur », accompagne le public dans sa future écoute par des exemples précis et quelques détails techniques. Voilà qui sans doute n’est pas superflu, car si Rihm passe pour le chef de file d’un mouvement nommé La Nouvelle Simplicité, son écriture n’a rien de néoromantique, comme certains l’affirmèrent parfois, et n’est pas d’un abord si directement « consommable », si j’ose dire.
Si des cellules peuvent construire çà et là des passages harmoniques, il ne s’agit pas d’un retour à des habitus passés mais de l’usage contrôlé d’un effet de déséquilibre, toujours vers l’avant. Ne perdons pas de vue que la simplicité dont il est question n’est que toute relative, lorsqu’on sait que dans les années soixante-dix Wolfgang Rihm était fasciné par les travaux de Luigi Nono, de Morton Feldmann et de Pierre Boulez, et qu’il affirmait qu’il « n’y a pas de musique sans émotion, mais pas d’émotion sans complexité... » – tout un programme… Le premier mouvement de Duomonolog débute par un prélude tonique en imitation, le plus souvent une imitation par opposition (une imitation tout de même) d’une facture assez classique, avant de développer des parties indépendantes. Chacun semble d’abord réagir au geste du partenaire, avant de construire un véritable dialogue de sourds. Les artistes honorent une partition exigeante qui requière précision et endurance. Après une section d’une violence inouïe dans laquelle ils déploient une belle énergie, la fin du premier mouvement les réunit dans un climat apaisé, annonçant le mouvement suivant qui repose en partie sur la complicité, d’une nature plus aphoristique.
Retrouvant Laure Favre-Kahn, nos jeunes gens donnent pour finir une version retenue et pudique du Trio Op.67 n°2 de Dmitri Chostakovitch, œuvre écrite après le premier grand renoncement de l’auteur aux techniques dites d’avant-garde, sous l’accusation de formalisme émise par le régime soviétique à la fin des années trente. Saluons-les de si bien rendre l’introduction difficile et délicate en harmoniques, et de livrer une lecture contrastée et de grande tenue de plus d’une demi-heure de plaintes et de sarcasmes.
BB