Chroniques

par jérémie szpirglas

une fantaisie de l’entente cordiale
de Shakespeare à Debussy, en passant par Bach et Dickens

The Midsummer Festival / Château d’Hardelot
- 13 juin 2010

Quand on pénètre dans la cour du Château d’Hardelot, on ne peut s’empêcher de penser « toc ». Et en effet, entre le château fort normand, le pseudo-gothique et le style Tudor, le corps de logis est un à la manière de, certes plaisant, mais finalement assez kitsch. Construit sur les ruines des nombreux châteaux médiévaux qui se sont succédés sur la butte — qui autrefois dominait la mer et gardait un œil sur Albion dont les blanches falaises sont visibles par beau temps —, le château actuel est le fruit de la lubie d’un riche Sir anglais qui a également insufflé à la petite commune de Condette ses ambitions de station balnéaire. Les habitués de ce haut lieu de villégiature étaient fort distingués, il faut l’avouer. Charles Dickens lui-même aurait passé au château de nombreuses heures avec sa maîtresse.

Provisoirement monté au pied de ce faux donjon, le Théâtre de la Tour Vagabonde est, lui, une curiosité. Copie quasi conforme du fameux Théâtre du Globe où, sur les bords de la Tamise, s’exprima jadis le génie de Shakespeare, il accueille les concerts du Midsummer Festival — festival triplement bien nommé, eu égard à ses dates, d’abord (durant le mois de juin), à sa programmation, ensuite (on y verra, les 24 et 25 juin prochains, le Songe d’une nuit d’été par le Théâtre de l’Écrou, dans une mise en scène de Pip Simmons), et enfin parce qu’il est organisé par le Centre culturel de l’Entente cordiale, une institution dont le titre suffit à décrire les activités : mettre en lumière les relations entre la Grande-Bretagne et la France. C’est donc un festival à cheval sur la Manche, qui se nourrit de cette longue et houleuse histoire dont la conclusion amicale est l’une des clefs d’une Europe unie.

Et, à parler d’Europe et de musique, comment ne pas parler de Bach, un des rares compositeurs à être parvenu à une synthèse de l’Europe musicale ? Musicien ouvert et attentif à tout, il a tâté de tous les styles, s’est approprié toutes les influences — et c’est grâce à lui que le jeune claveciniste Benjamin Alard illustre pour nous l’entente cordiale en interprétant, en plus de quelques Sinfonie, la Suite Françaisen°3 BWV 814 et la Suite Anglaisen°2 BWV 807. Ces deux partitions prouvent à qui veut les entendre, et sans l’ombre d’un doute, la proximité des pensées musicales de part et d’autre de la Manche, tant Bach y met le doigt sur leurs similitudes, nuances et affinités. Benjamin Alard y fait montre de son indéniable talent. Si l’on pourrait occasionnellement lui reprocher un excès de sagesse ou d’austérité et une certaine frilosité, il faut admirer son style et son aisance technique. Le discours coule avec nonchalance et clarté, les contrepoints se déroulent sans impatience ni faux fuyants. On se replonge avec lui dans Bach avec le même plaisir renouvelé qui nous envahit lorsqu’on feuillette un livre de chevet cent fois rouvert.

Plus tard dans l’après-midi, le Trio Arte et la pianiste Dana Ciocarlie nous ramènent au tournant du XXe siècle, période à laquelle la musique anglaise a puisé dans la française la force de son renouveau, au moins en partie. Qui pourrait affirmer, par exemple, que les saveurs harmoniques singulières de Vaughan-Williams — dont la violoniste Ayako Tanaka et Dana Ciocarlie défendent avec élan et pudeur la pièce The Lark ascending — ne doivent rien à Debussy ? Certainement pas la pianiste elle-même qui, un instant auparavant, interprétait avec la délicatesse et l’intelligence qui la caractérisent deux Préludes de Debussy, eux aussi dans le ton du festival : Hommage à S. Pickwick Esq. P.P.M.C. (d’après Dickens) et La danse de Puck.

Enfin, on ne peut parler de musique anglaise du XXe siècle sans évoquer Bridge — dont le nom est naturellement fort bienvenu à Hardelot. Les quatre amis nous donnent à entendre son talent pour la miniature — avec la Berceuseet Sérénade pour violoncelle et piano et le Pensiero et Allegro appassionato pour alto et piano — mais aussi pour la Phantasy, forme si singulière de la musique élisabéthaine que Bridge a contribué à faire revivre — et auquel le jeune compositeur français Olivier Pénard rendra hommage dans son Quatuor avec piano op. 25 dont la création clôt ce dernier concert dominical.

JS