Chroniques

par Michèle Tosi

une immense personnalité de la musique d’aujourd’hui
fin du cycle Mozart | Lachenmann

Cité de la musique, Paris
- 21 janvier 2006
© marion kalter

Avant le concert du soir concluant le cycle Mozart | Lachenmann proposé par la Cité de la Musique depuis le 11 janvier, un film et une rencontre avec le compositeur allemand éclairaient sous un nouvel angle l’esthétique et la personnalité d’un artiste hors du commun. Dans Tableau d’une exposition, le film de Helmut Laci, la caméra se fixe sur les musiciens du SWR Sinfonieorchester Baden-Baden et leur chef Michaël Gielen répétant, en présence de Helmut Lachenmann, Fassade (1973), une pièce d’orchestre que l’on entend dans son intégralité à la fin du documentaire. Ce dernier est rythmé par plusieurs conversations entre Gielen et Lachenmann invité à redéfinir des notions essentielles telles que la beauté qu’il reconnaît, dit-il, « dans tout ce qui est fort, intense et pur ».

Sur la scène de l’Amphithéâtre, en présence de Martin Kaltenecker, auteur de l’ouvrage français de référence sur le compositeur (Avec Helmut Lachenmann, Van Dieren Editeur), le musicien retrace son itinéraire, son temps d’apprentissage difficile, conflictuel mais décisif, avec Luigi Nono et nous parle, en français et avec beaucoup d’humour et de naturel, de cette expérience inouïe qu’est pour lui l’acte de composer, résumant en une phrase éclairante les enjeux de son engagement artistique : « écrire de la musique c’est, pour moi, la réinventer ».

Pour clore ce forum, on retrouvait les solistes de l’Ensemble Intercontemporain, en trio cette fois, dans une des premières œuvres du compositeur (précédant son opus 1) : Trio fluido pour clarinette, alto et percussion, qui fait apparaître de façon presque didactique, à travers le son qui se délite, les composantes du bruit entraînant une perception nouvelle du matériau chargé d’une intensité toute particulière. Plus tardif, Allegro sostenuto (1986-1988) pour violoncelle, piano et clarinette/clarinette basse poursuit, avec un effectif moindre, les objectifs d’Ausklang (résonance) entendu lors du premier concert de cette série [lire notre chronique du 11 janvier 2006]. Avec une virtuosité d’écriture phénoménale, mettant toujours l’interprète au défi, et un jaillissement prodigieux de l’invention, Lachenmann « construit son propre instrument », capable d’explorer les champs de résonance et les catégories du mouvement dans une quête inlassable de la pureté sonore. Ecrit en 1786 pour son ami clarinettiste et frère en maçonnerie Stadler, le célèbre Trio des Quilles de Mozart venait judicieusement se glisser au centre du programme, sans pour autant captiver notre écoute, tant il est difficile pour des interprètes aussi spécialisés dans leur répertoire d’aborder avec un égal bonheur des univers si différenciés.

C’est pourtant ce que Hans Zender, à la tête du Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg – une formation rompue à l’esthétique du compositeur –, allait nous prouver le soir même dans l’œuvre fétiche du couple Lachenmann/Mozart :Accanto (à côté de),musique pour clarinettiste et orchestre (1976) dans laquelle l’Allemand fait défiler tout du long et en silence (excepté un court débordement, comme une effluve) le Concerto pour clarinette du maître autrichien, « la quintessence de la beauté, de l’humanité, de la pureté, mais aussi, et en même temps, l’exemple d’un moyen fétichisé, qui permet une fuite devant soi-même », dit-il. Danscette pièce emblématique de sa démarche, Lachenmann interroge le texte classique, le retourne et le travaille dans la différence. Avec une maîtrise et un engagement de tous les instants, Zender fait lui aussi la différence en donnant à entendre à un public totalement conquis la quintessence du génie lachenmannien.

La qualité de l’écoute et de la concentration resta la même pour la Symphonie n°34, étonnante surtout dans l’Allegro vivace initial où l’écriture de Mozart semble galvanisée par les sonorités de l’orchestre de Mannheim qu’il vient de découvrir. Revêtant son habit du XVIIIème siècle, la phalange fait réentendre cette musique avec la même acuité d’écoute que celle d’un Lachenmann, tant la qualité et l’évidence du chef-d’œuvre s’imposent.

Le concert s’achevait avec l’une des pièces les plus récentes de Lachenmann, Schreiben (2003), dont le titre, comme celui de Grido, son Troisième Quatuor, contient le mot cri (schrei), sous-tendant une action plus sonore que dans les opus antérieurs. L’idée de départ est induite par le terme écrire qui pour le créateur devient l’événement acoustique traduit instrumentalement par le frottement des balais sur les peaux des tambours. Sur une durée de près de trente minutes, format habituel de ses compositions, Lachenmann exploite l’idée, creuse le geste initial dans une avancée qu’il veut tâtonnante, comme s’il restait toujours à l’affût de ce que lui dicte son matériau ; tout cela mis en évidence avec une intelligence du texte et une virtuosité confondante par Hans Zender qui rendit ce soir un des hommages les plus vibrants à cette immense personnalité de la musique d’aujourd’hui.

MT