Recherche
Chroniques
une journée avec Ictus
œuvres de Benjamin, Mochizuki, Monnet, Nancarrow, Reich et Wierk
Cette presque semaine passée à Musica s’achève par deux concerts de l’ensemble Ictus. Remplaçant un rendez-vous (manqué) avec le Quatuor Diotima, le premier (18h) offre une promenade dans la musique américaine – un sujet cher à la formation belge [lire notre chronique du 4 février 2004]. Il s’ouvre avec le Quatuor n°3 de Conlon Nancarrow, pièce de 1987 jouant d’abord sur une disparité des attaques, puis sur une pulsation commune, vite contrariée. La première section se met promptement à danser, la partie centrale énonce des harmoniques flûtées suspendues à des pizzicati contradicteurs, tandis que le dernier mouvement s’affirme franchement « vibré », mêlant une allitération de pizz’ à un élan presque rhapsodique, ce qui inverse la formule initiale. Nous entendons ensuite Cirrus pour trompette et bande magnétique (cinq trompettes préenregistrées par l’interprète), écrit par Loïs Wierk en 1987, une page qui fait rimer minimalisme avec indigence. Pour clore cette fin d’après-midi, les instrumentistes jouent Different Trains de Steve Reich.
La soirée est introduite par les altistes Geneviève Strosser et Paul Declerck dans une lecture attentive de Viola, Viola de George Benjamin [photo]. L’idée est de faire sonner l’alto comme un orchestre. Grâce à l’accentuation des attaques en répons, à un éventail de nuances sans contrastes qui suggère une masse instrumentale dès qu’un trait s’en détache, imitant une écriture en pupitres, mais également à certains emplois d’harmoniques aptes à évoquer les bois, le pari est tenu. En préambule à la création de Pan de Marc Monnet, Ictus présente Bosse, crâne rasé, nez crochu, pour deux pianos et ensemble dont la rédaction s’étendit de 1988 à 2000.
Entrons dans un tout autre univers avec Intermezzi composé par Misato Mochizuki il y a sept ans. Double renvoi à la musique de Schumann et à la pensée de Roland Barthes, l’œuvre est faite de fragments succincts dont la brièveté ordonne une urgence de l’écoute. L’écriture de Mochizuki surprend par des effets plus ou moins bruiteux (frottements, souffles, crissements, voix parlées, etc.), certes pas nouveaux mais ficelésde telle sorte que la tension de l’écoute en devient nécessairement active et fascinante.
Deux ans plus tard (2000), la musicienne japonaise s’inspire des manipulations génétiques et imagine Chimera qui confronte un ensemble d’instruments classiques à une incursion techno, sorte de chimère (dans l’acceptation biologique du terme) face à laquelle il devra réagir, invitant à observer des phénomènes de contamination et de rejet.
Wise water guide ensuite dans des sonorités plus rares encore, l’eau du titre étant présente sur scène et ouvrant la pièce par de secrets barbotements, avant que la contrebasse désigne plus précisément l’exécution. L’on goûte l’inventivité incessante de cette partition de 2003, donnée en première française, qui érige en sa seconde section une forme brillamment maîtrisée, jusqu’à l’extinction finale, d’une grande délicatesse.
BB