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Chroniques
une ouverture fragmentée
création d’Ajna Concerto d’Oscar Bianchi
Avec l’automne arrive le grand rendez-vous français de la création musicale. Tels les avatars d’un climat incertain, ou qu’il est préférable d’encore croire impermanent, peut-être, la nouvelle édition de Musica semble précocement éternuer à travers une ouverture plutôt mal définie. Le moment s’en laisse malaisément saisir, si ce n’est à le décliner au pluriel. Belle idée, pourrait conclure le lecteur, que d’appareiller pour la fête plusieurs pièces de la maison, agrémentées de tables précisément différenciées. Ce n’est cependant pas exactement ce qu’il faudra comprendre.
Le concert de ce vendredi soir – vendredi soir traditionnel dans l’histoire du festival – fait clairement office d’ouverture officielle, confié qu’il est aux bons soins d’une grande formation nationale, affichant une œuvre en création mondiale, qui plus est commande de l’État, et la première de la version définitive d’une pièce importante et reconnue du répertoire de ces quinze dernière années. Contrairement aux apparences, il n’est pourtant pas le premier moment de Musica 2010.
Ainsi ne vous aura-t-il pas échappé, vous qui lisez nos colonnes, que le Palais universitaire de Strasbourg faisait sonner hier soir une symphonie de la terreur par laquelle l’Autrichien Mitterer accompagnait la projection du Nosferatu de Murnau [lire notre chronique]. Aussi le même Mitterer occupait-il les claviers de l’Église du Bouclier, cet après-midi même, par un programme tout à fait personnel. Plus déroutant encore : s’étant associé à l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, avec le soutien du Conseil Général du Bas-Rhin, pour offrir trois fois un menu passionnant (Mozart : Ouverture de Don Giovanni ; Mantovani : Concerto pour violoncelle ; Schönberg : Verklärte Nacht), Musica en proposait première date mardi soir (21 septembre) à Sélestat. S’agissant d’un concert d’orchestre, qui plus est placé sous la direction d’un jeune compositeur qui, en le portant hors de la cité – de fait, l’OPS n’en est certes pas à sa première tentative de décentralisation(de même qu’il fut toujours volontiers et largement présent dans la vie du festival, on s’en souvient) –, revêt par un heureux hasard les valeurs de ses nouvelles fonctions administratives, l’on est plutôt surpris d’une si discrète annonce.
Enfin, le concert lui-même s’est trouvé quelque peu malmené par les conséquences de la grève nationale de la veille : les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France n’ayant pu, de ce fait, répéter autant qu’il était prévu On Comparative Meteorology de Johannes Maria Staud, l’audition en est reportée d’une dizaine de jours (concert du Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg, 3 octobre). Cette ouverture s’en révèle d’autant plus fragmentée – c’est d’ailleurs par Peaux, un extrait des Pléïades de Xenakis, que commence la soirée.
Différée, encore, mais de toute autre manière, la nouvelle œuvre d’Oscar Bianchi – le festival présente cette année de façon assez développée le travail de l’Italien dont il créait la cantate Matra il y a quelques années –, cependant jouée ce soir, certes, mais par un chef qui paraît n’avoir guère fait l’effort de la servir au mieux. Car il semble bien que cet Ajna Concerto offre une palette de couleurs dont l’écoute doit pouvoir mieux profiter. D’une forme plutôt simple mais d’une organisation interne subtile, cet opus devient ici la malencontreuse victime d’un Pascal Rophé jivaroqui le prive de tout relief dans un énoncé d’une criminelle platitude. Rien de plus désagréable que d’entrevoir ce qu’on en pourrait rendre sans le pouvoir goûter jamais. Dans cette lecture superficielle, le calme manque de calme, la tonicité demeure molle, le contraste n’est qu’accessoire. Se contentant d’une approche brossée à gros traits, le chef n’en obtient qu’un aperçu terne et anémié – anémié, quel comble ! L’énergie d’Ajna Concerto n’a que faire de ses approximations, la densité de certains passages de ses vociférations, la clarté de la pensée musicale de ses coups de sang. L’œuvre devra donc patiemment attendre sa véritable création.
En 1995, Péter Eötvös achevait Atlantis, vaste partition sonorisée pour baryton, voix d’enfant, cymbalum, chœur virtuel et orchestre, inspirée par les vers de Sándor Weöres dès 1984. Depuis longtemps le compositeur hongrois souhaitait y ménager un nouveau passage, dédié au cymbalum et au baryton [lire notre entretien]. C’est chose faite avec un bref duo accompagné par les percussions, un duo franchement vif non dépourvu d’une certaine tension. Malgré les regrettables carences de la vision simpliste du chef, Atlantis vous immerge immédiatement dans son propos. Les incises d’un concertino d’un autre âge se conjuguent aux voix invisibles venues d’un ailleurs qui fascine, révolutionnant les repères de la perception. Mais Pascal Rophé n’a décidément aucune idée des dosages à favoriser dans cette page dont il aplatit tout le mystère par une tendance malvenue à la jouissance d’un gros son. Salutairement, nous garderons d’Atlantis le souvenir d’un hiver passé [lire notre chronique du 9 février 2007].
BB