Chroniques

par monique parmentier

une soirée entre amis
Café Zimmermann

Théâtre de la Ville, Paris
- 22 décembre 2009

Il est des soirées d’hiver où l’on aime à savourer le plaisir de se retrouver entre amis. Café Zimmermann, ensemble baroque dont le nom est à lui seul une invitation à partager musique, café et amitié, et qui s’est ce soir associé au jeune soprano Bénédicte Tauran, fit ressentir la tendre ardeur d’un de ces instants privilégiés. En faisant confiance à leur talent et au programme qu’ils nous ont proposé, le Théâtre de la Ville ne pouvait mieux évoquer Johann Sebastian Bach en son café de prédilection.

Deux cantates profanes de mariage, Weichet nur, betrübte Schatten BWV 202 (Disparaissez, ombres attristés) et O holder Tag, erwünchte Zeit BWV 210 (Ô jour propice, moment désiré), ainsi que le Concerto pour clavecin BWV 1055, ont fait revivre un de ces moments où, entre boissons chaudes et conversations, Bach proposait à ses amis une de ses nouvelles compositions.

Rares cantates profanes à nous être parvenues, les deux cantates de mariage sont des présents d’autant plus exceptionnels. La BWV 202 a été composée (pour soprano, hautbois, violon et basse continue) entre 1718 et 1723 en l’honneur d’un mariage dont nous ne savons rien. Elle mêle des éléments qui évoquent la nature au printemps, devenant une métaphore joyeuse et légère de l’union amoureuse. Dès les premières secondes, le charme opère. Le silence se fait total. Le public, venu probablement nombreux pour entendre Sophie Karthäuser souffrante et remplacée par Bénédicte Tauran, est gagné par la voluptueuse sérénité que produit le court dialogue entre le violon de Pablo Valetti et le hautbois d’Emmanuel Laporte introduisant le premier air du soprano.

La jeune cantatrice française a rapidement vaincu le trac dû à ce remplacement de dernière minute, tant la complicité et le soutien des musiciens sont pour elle une clé de voûte. Tout devient possible, la délicatesse de cette œuvre se fait pur moment d’émotion. L’archet, premier trait de lumière, éveille une nature où le souffle du hautbois se mue en vent léger. Le timbre vocal délicieusement fruité exprime la confiance en un avenir riche de promesses. Dans le second air, Phoebus eilt mit schnellen Pferden, Petr Skalka au violoncelle et Céline Frisch au clavecin entraînent la voix par leur conversation sur basse obstinée vers toujours plus de virtuosité. Le soprano se libère et, semblant aussi impatiente que les chevaux, ses vocalises se font légères et agiles.

Tout dans cette musique invite au bonheur.
Une œuvre de Bach ne s’est jamais faite aussi gracieuse tout en restant aussi intense. Les musiciens et la chanteuse invitent à un rapport intime tant elle chante et ils jouent pour chacun. L’interprétation de cette cantate, heureusement sauvée de l’oubli par un copiste de treize ans, retrouve tout ce qui en fait la rareté, révélant, en particulier, la beauté suave et raffinée du hautbois, sans se départir des notes d’humour qui nous la rendent si vivante.

De la seconde cantate, BWV 210, on a retrouvé, relié de soie, l’original à l’élégante calligraphie – probable cadeau d’un mariage dont on devine qu’il devait unir des intimes de Bach lui-même. Plus que dans la précédente, l’exercice y est périlleux pour le soprano, tant l’endurance est requise. La sicilienne est suivie d’une aria aux vocalises exultantes. Bénédicte Tauran, sans jamais sacrifier le phrasé, la diction précise qui donne aux mots le poids de la conviction et de la confiance, déjoue toutes les difficultés. Dans l’aria finale, elle est aidée par la flûte radieuse de Diana Baroni et le hautbois enchanteur d’Emmanuel Laporte.

Le Concerto BWV 1055 pour clavecin et violon figure parmi les sept qui soient parvenus jusqu’à nous. Il a été enregistré avec brio par Café Zimmermann en 2001. Céline Frish, Pablo Valetti et Emmanuel Laporte laissent percevoir tout ce que la tonalité de la majeur permet d’effets et d’affects. Entre plainte et divertissement, le ton offre aux instruments de partager des nuances infinies et bouleversantes. Les solistes, accompagnés d’une basse continue riche et voluptueuse, en font un don, une adresse à chacun de nous, tant leurs sourires, leur entente, leur capacité à s’offrir mutuellement des phrases qui éblouissent par l’intelligence et la finesse de leur conversation, est avant toute musique partagée.

En cette veille de Noël, pouvait-on rêver meilleur cadeau qu’une offrande d’amitié musicale, entre plaisir et intimité chaleureuse ?

MP