Chroniques

par laurent bergnach

Věc Makropulos | L’affaire Makropoulos
opéra de Leoš Janáček

ANO / Théâtre Graslin, Nantes
- 29 mai 2010
L’affaire Makropoulos, opéra de Janáček, au Théâtre Graslin de Nantes
© jef rabillon

On la trouve belle, fascinante, mystérieuse, mais également froide, cynique et sans cœur : à l'instar de Salomé (1905), Turandot (1926) et Lulu (1937), pour la première moitié du XXe siècle, Elina Makropoulos mène les gens à la mort. À ceci près que ladite mort, depuis plus de trois cents ans, l'épargne.

C'est en décembre 1922, alors qu'il compose La petite renarde rusée, que Leoš Janáček découvre la pièce de Karel Čapek (1890-1938) qui va lui inspirer son avant-dernier opéra. L'écriture limpide de cet avant-gardiste plein d'humour et critique – deux exemples : Pourquoi je ne suis pas communiste (1924), article qui lui vaudra une mise à l'index après-guerre, et La Guerre des salamandres (1936) qui ridiculise le national-socialisme (ce qui eut d’ailleurs pu le réhabiliter a posteriori de cette mise à l’index) – permet au musicien de se renouveler sans se trahir, notamment par un travail sur le rythme (intonations de la voix parlée, multiplication des thèmes). Il va s'y atteler du 11 novembre 1923 au 12 novembre 1925, consacrant la moitié de ce temps au seul dénouement philosophique d'un casse-tête juridique.

Patrice Caurier et Moshe Leiser sont des familiers d'Angers Nantes Opéra : nous gardons en mémoire leur magnifique Château de Barbe Bleue [lire notre chronique du 30 septembre 2007], cette année même où ils montaient Jenůfa, ouvrage plus ancien et plus connu de Janáček [lire notre chronique du 4 mars 2007]. Ici, pas de décor unique, puisque nous passons d'un bureau d'avocat (univers calfeutré, arêtes obliques) aux coulisses d'un théâtre (bric-à-brac à la Hergé) pour finir dans un appartement qui s'ouvre sur des choristes (aux allures d'immigrés sur un quai). De même que le prologue, avec sa danse des cellules filmée, nous rappelle qu'Elina fit l'objet d'une expérience, la centaine de malles et valises encombrant le plateau du troisième acte révèle la solitude de cette femme en errance, fatiguée de porter ses masques successifs, même les plus grotesques.

Pour incarner l’héroïne multiple dont la toux trahit l'âge (diva, harpie, gitane, etc.), Kathryn Harries possède le charisme nécessaire, même si la voix, d'abord étriquée et aigrelette, met du temps à s'arrondir – sa consœur Paola Gardina est à l'aise tout de suite, mais se montre plus anodine. Du côté masculin, à part le Gregor franchement agressif d’Attila B. Kiss et John Fanning en Kolenatý parfois poussif, la distribution réserve de bonnes surprises : Adrian Thompson est un Vítek vaillant, aux aigus très clairs, Robert Hayward incarne Prus avec ampleur et nuance ; Beau Palmer s'avère un Hauk sonore et attachant, Robin Tritschler offre à Janek une riche couleur de timbre ; enfin Guy-Étienne Giot – qui mérite mieux qu'un rôle de serviteur (Elektra) ou de machiniste. En fosse, tendrement souple et expressif, Mark Shanahan dirige un Orchestre National des Pays de la Loire parfois intimiste, toujours lumineux.

LB