Chroniques

par françois cavaillès

Valentina
opéra d’Arturs Maskats

Deutsche Oper, Berlin
- 19 mai 2015
reprise à Berlin de Valentina, premier opéra du Letton Arturs Maskats
© latvijas nacionālā opera

Attention, grande découverte ! Voici une production des plus réussies, à même de rayonner sur toute l'Europe et au delà, puisant aux fortes origines d'une terre à la fois chaleureuse et glacée, la Lettonie. Tous les éléments de cette création viennent du petit pays balte où, en décembre dernier à Riga, alors capitale culturelle européenne, vit le jour ce premier opéra du compositeur Arturs Maskats (également co-auteur du livret), dans une mise en scène de Viestur Kairish. Le sujet de Valentina dépasse les frontières comme il suit le cours tragique de l'existence de l'historienne du cinéma Valentina Freimane, partie de Lettonie pour Berlin après avoir perdu toute sa famille juive au cours de la Seconde Guerre mondiale. Vécu de 1939 à 1944, cet épisode dévastateur nourrit principalement le livret, avec pour autre influence un poème du grand écrivain letton Aleksandrs Caks. L'histoire ressemble sans doute à son héroïne, à la lumière de l'autobiographie (parue en letton, lituanien, russe et allemand, mais intitulée en français Adieu, Atlantis), c'est-à-dire qu'en célébrant la survie à travers les épreuves, elle demeure pleine de bons sentiments et de patriotisme, mais aussi de poésie brûlante et du sens de la dignité de la vie et des cultures.

La puissance des souvenirs entre Riga et Berlin est soulignée à l'occasion de cette unique représentation à la Deustche Oper, en présence de Mme Freimane. Le chef Modestas Pitrėnas, le Chœur et l’Orchestre du Latvijas Nacionālā Opera (Opéra national de Lettonie) étaient invités et, en étrange amuse-gueule – impensable en France ! –, une tribune politique précéda Valentina, sur la même scène, avec les discours des ministres des affaires étrangères allemand et letton.

Bien plus qu'à la hauteur de l'événement (institutionnalisé), l'œuvre conquiert un large public grâce, surtout, à l'écriture de Maskats, si riche en qualités narratives, inventives et poétiques. Ainsi aux premières scènes, des chœurs d'enfants évoquent les charmes du printemps et la nature avec une élégance magnifique, puis un somptueux chant de Pâques annonce une merveilleuse hymne à la nuit. La musique se fait ensuite plus illustrative encore, onirique parfois, portée par une variété d'instruments remarquable et de magnifiques chœurs, quelques duos, qui guident le public tout en lyrisme, avec générosité et sans grands airs. Quelques accents pucciniens la traversent parfois : ainsi l'amour simple et la pauvreté dans la famille de la jeune Valentina, au premier acte. Le calme et la paix, la nostalgie, l'attrait de Paris, le goût pour la littérature française et le cinéma, tout revit en des tableaux vivants, à travers une mise en scène aussi soignée et classique que divertissante, sous le regard d'une Valentina plus âgée, personnage fantomatique spectateur du siècle écoulé.

Les plus belles pages de cette poésie simple mais si efficace tiennent de l'ode, à l'amour né à Riga, tout d'abord, puis à la capitale même de la patrie meurtrie par les occupations russe et nazie. Ou, si l'on préfère un lyrisme plus animé, au deuxième acte, la déclaration de bravoure de Valentina, auprès de son mari fusillé (« j'ai tant envie de vivre »), bouleverse, avec évidence. Dans le rôle éponyme, le soprano Inga Kalna tient la vedette avec fraîcheur et majesté. Native de Riga, elle mène une carrière internationale à travers l'Europe (interprétant notamment l’Alcina de Händel à Paris en 2007 et à La Scala en 2009). L'ensemble des chanteurs est à féliciter pour son souci de perfection et pour la joie qu'il offre aux oreilles occidentales en dévoilant le phrasé musical letton, souvent délicieux – le talent d’Arturs Maskats comme compositeur pour les voix dépasse l'écriture de musique chorale.

Enfin, de l'intrigue plutôt romanesque, on révèlera peu de choses, pour préserver le plaisir de la découverte, au gré de décors valsant sur le large plateau rotatif (Ieva Jurjāne). Avis aux curieux : la représentation sera diffusée gratuitement à partir du 30 mai prochain sur le site The Opera Platform. Espérons que la France saura bientôt accueillir sur l’une de ses scènes cet hommage au don de sa vie pour des valeurs humaines (apolitiques).

FC