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Chroniques
Valeria Chiara Pagano, Anna Pugliese et Patrizio Serino
Prokofiev, Debussy et Brahms
L’association Jeunes Talents, présidée par le compositeur Henri Dutilleux, présente au public, depuis sa création en 1998, des musiciens en début de carrière. Pendant la saison, ils se produisent dans les hôpitaux de Paris et de sa banlieue, mais également dans le cadre prestigieux de l’Hôtel de Soubise, aux Archives Nationales, à l’occasion d’un festival d’été dont la troisième édition se déroule du 17 au 30 juillet. Cette manifestation se veut européenne, puisqu’elle accueille les jeunes des conservatoires espagnols, italiens, néerlandais, allemands, écossais et danois, tout en ouvrant ses portes aux étudiants du CNSM de Paris.
Ce soir, c’est un trio romain que nous écoutons, chacun des artistes étant élève de la prestigieuse Académie Sainte Cécile. Ils ouvrent leur programme avec la Sonate pour violon et piano en fa mineur Op.80 de Sergueï Prokofiev que Valeria Chiara Pagano introduit de façon recueilli au clavier, plongeant dès les premières mesures dans un climat sombre et grave. Âpre se fait la sonorité du violon. On remarque une gestion fort mesurée des effets de crescendo au piano, de même que la vocalise d’Anna Pugliese (violon) s’avère d’une grande précision, sans jamais ne s’affirmer qu’en une infinie délicatesse, parfois à la périphérie du son, comme chantonnée. Elle atteint une sorte de lassitude qui n’est pas sans rappeler l’inertie pesante des personnages de Tchekhov à se morfondre en province, rêvant en vain, éloignés de tout, avec cette sorte de lourde légèreté, si l’on peut dire. Mais ce choix de jeu est difficile : attention à ne pas trop détimbrer comme à ne pas perdre la hauteur.
Le duo formé par les deux jeunes femmes s’en tient toujours à une certaine discrétion, se gardant bien de prendre ses aises avec la notation rythmique par d’abusifs rubati et autres balivernes malheureusement rarement évitées. Au contraire, chaque fin de mouvement est nette, sans céder, sans blabla. Sur l’Allegro brusco, on apprécierait toutefois un travail de contraste entre les attaques violentes et dures du départ et l’exposition de la phrase lyrique. Ce passage n’a rien d’aisé, s’agissant bien de passer sans transition d’un jeu agressif à une expressivité plus suave, tout au long du mouvement, avec la même excellence. Aujourd’hui n’est développé qu’un seul aspect. Au piano, l’on remarque l’usage un brin complaisant, s’opposant à la belle articulation du mouvement précédent. L’élégance du violon se retrouve dans l’Andante, mais sans frivolité. Cette apparente trêve garde des secrets, sinon des dangers. Enfin, la retenue et la pudeur sont au rendez-vous pour l’Allegrissimo. Si l’attaque manque un peu de folie, le calme qui s’ensuit s’étiré avantageusement jusqu’à renouer avec le paysage triste du début de l’exécution. Vous l’aurez bien compris : les charmes de cette rêverie russe n’ont rien d’agréable, ce qu’ont parfaitement saisi les interprètes.
Avec les appels dramatiques du piano des mesures d’ouverture de la Sonate en ré mineur pour violoncelle et piano de Claude Debussy, nous ne quittons pas un je-ne-sais-quoi de russe qui rappelle que le Français ne fut pas indifférent, dans sa jeunesse, à sa découverte de la musique des Cinq chez Mme Menck. Si la pianiste s’y emporte quelque peu, le violoncelle de Patrizio Serino [photo] prend vite en main la suite, faisant sien le style de l’œuvre. Il souligne discrètement le souci formel de Debussy tout en évoquant, par l’éventail des nuances et une sonorité subtilement travaillée, les circonstances douloureuses de la composition de cette pièce (la guerre, la maladie). On goûte particulièrement les jeux de timbres des échanges de pizz’ de la Sérénade, portés dans une respiration commune qui contribuant à une mobilité complice. Pour finir, la dernière phrase du Final se fait droite, sonore, lourde même, bénéficiant d’une vraie force expressive. On le sait, le violoncelle rencontre souvent des soucis de justesse : ici, Patrizio Serino assure une lecture sans faille dotée d’une fine sensibilité.
Réunissant les trois jeunes gens dans une interprétation amplement phrasée dont on apprécie le ludique des échanges, le Trio en si majeur Op.8 n°1 de Johannes Brahms conclut la soirée. Là encore, le violoncelle brille, mais le violon demeure aigre et le piano est rendu flou par une pédale trop systématique et pas toujours nettement articulée. Signalons, malgré cela, un Andante d’une rare tenue de la part de Valeria Chiara Pagano qui maintient un plein son choral.
BB