Chroniques

par bertrand bolognesi

...vers un dimanche virtuose
Emmanuel Ceysson, Pierre Stark et Nikolaz Cadoret

Journées de la harpe, Arles
- 30 octobre 2005
le jeune Emmanuel Ceysson aux Journées de la harpe, Arles 2005
© johann delacour

À l’angle de la cour azur et jaune de l’ancien Hôtel Dieu, en bordure du petit jardin central de l’Espace Van Gogh, une grande harpe bleue domine l’estrade. Sur le continuo d’une fontaine, le saxophone de Pierre Stark, au cœur de la verdure, gagne peu à peu le grave électrifié que sollicite l’inspiration de Nikolaz Cadoret [lire notre chronique de la veille]. L’improvisation commence dans une sorte de prélude, se développe ensuite par une rythmique plus définie où les artistes se rejoignent. La volubilité du saxo s’échappe soudain en une logorrhée semi saturée sur un ostinato farouche, contredisant ce qu’un petit esprit comme le mien aurait jusqu’alors pu résumer à un modèle prélude-toccata-fantaisie. Un jeu de répons mélodiques élégiaques invente bientôt une transition vers un final aphoristique.

Il est un peu plus de dix heures quarante-cinq, la fontaine chante toujours, imperturbable, tandis qu’une dame à chapeau noir, arborant chapelet et moulin à prière, déambule nonchalamment sous l’arcade, escortée de trois chiens obèses à foulards chamarrés. La performance comprend cinq épisodes qui confrontent divers habitus musicaux dont les raffinements s’unissent étrangement. La vocalité du saxophone circule géographiquement, prenant appui sur l’énigmatique mouvement perpétuel grave de la harpe, avant qu’une franche volée de cloches s’exprime de la partie. Une troisième pièce plus structurée fait lever les nuages, tandis qu’un duo nettement libéré s’affirme en fin de parcours.

Élève de Germaine Lorenzini et d’Isabelle Moretti, Emmanuel Ceysson obtient un premier prix à l’USA International Harp Competition de Bloomington en juillet 2004. Sa carrière, commencée avant cela, se poursuit vers des salles prestigieuses comme le Wigmore Hall de Londres. Il ouvre son récital verspéral en l’Église Saint Julien par la Sonatine Op.30, d’inspiration largement debussyste, du harpiste et compositeur français Marcel Tournier (1879-1951). Dès l’Allègrement initial, on goûte un son d’une grande sensualité, au service d’un discours musical fort charpenté. Plus de relief est donné au second mouvement (Calme et expressif) par une distribution concentrée des effets. Le troisième mouvement révèle la virtuosité du jeu, à la fois parfaitement maîtrisé et respiré avec évidence. On regrette que le jeune musicien ait tenu à dire le poème de Verlaine qui inspirait à Fauré Une châtelaine en sa tour Op.110 : entendant l’aborder par le prisme du compositeur, la démarche paraît absurde, d’autant que l’excellent travail de couleurs et la délicatesse de l’approche se suffisent à elles-mêmes. Il ne serait pas malvenu, en revanche, de parler quelque peu de musiciens moins connus, comme Tournier ou Marcel Grandjany (1891-1975), proche de Nadia Boulanger né à Paris, qui choisira New York comme terre d’élection en 1945. Le copieux verbiage de sa Rhapsodie Op.10 bénéficie d’une interprétation brillante, néanmoins insuffisante à pallier le peu de personnalité et d’intérêt du propos.

Du Normand André Caplet nous entendons les Divertissements imaginés en 1924, soit un À la française plus fantasque que son indication bien allègrement et carré le laisserait supposer, suivi d’un À l’espagnole qui accuse de stimulants contrastes à travers lesquels Emmanuel Ceysson peint des paysage raffinés, ces deux pièces formant incontestablement le sommet de son concert. Après Harpalycé de Marius Constant, œuvre usant et abusant d’effets pour bien peu de chose, ce moment musical s’achève par une Fantaisie sur « Faust » de Gounod du harpiste et compositeur allemand Albert Zabel (1834-1910).

Rendez-vous est pris avec les douzièmes Journées de la harpe qui auront lieu du 27 au 31 octobre 2006 et dans le cadre desquelles se déroulera le sixième Concours international de musique de chambre avec harpe. À suivre...

BB