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Chroniques
Vincent Lièvre-Picard et Martin Robidoux
airs de cour de Marc-Antoine Charpentier et Michel Lambert
On put à maintes reprises l’applaudir ici et là, dans la musique sacrée comme dans la profane, souvent dans la française et plus précisément dans celle qu’aujourd’hui l’on dit « baroque ». Il s’appelle Vincent Lièvre-Picard, il possède un ténor léger d’une exquise clarté, timbre idéal à servir les Évangélistes des Passions comme à caresser une ouïe énamourée. « Pour bien chanter l’amour, nous dit l’air éponyme de Michel Lambert (1610-1696), il faut être amoureux » : voilà tout le programme de cette délicieuse heure de chant dont le dire exemplaire s’orne d’une gracilité secrètement aiguisée, promenant l’écoute dans la rêverie un peu sotte de l’heureux soupirant, dans le manque dont souffre le galant entre deux rendez-vous bénis, dans la colère du jaloux, l’acerbe condamnation et même la distance grivoise du désenchantement.
Ce sont principalement les recueils de Lambert que parcourt ce soir l’artiste, qu’il croise de quelques pages de Marc-Antoine Charpentier, l’ensemble étant çà et là saupoudré de pages destinées au clavecin par Jean-Henry d’Anglebert (1635-1691), Louis Couperin (1626-1661) et Johann Jakob Froberger (1616-1667), que nous entendons sous les doigts inspirés de Martin Robidoux, par ailleurs accompagnateur avisé des parties chantées.
Émerveillement de l’amoureux, donc, qui recueille pour sienne la faconde du Rossignol, pamoisons des beaux jours qu’il nous dit courts, quand Auprès du feu l’on fait l’amour – ça, par exemple ! La raison l’emportera-t-elle sur cet élan abondamment décrit par nos musiciens ? Taisez-vous, mes soupirs gagnera-t-il ? La douleur n’est jamais loin, bien sûr, quand encore elle séduit celui dont elle fait saigner le cœur. À cette suavité que ménage savamment l’interprète succède l’incise plus pointue du déçu – Non, non, je ne l’aime plus, assure-t-il sans y croire, le malheureux ; n’en disons pas plus… Entendre Vincent Lièvre-Picard en soliste dans une grande fresque sacrée ou un opéra est une chance [lire nos chroniques du 15 novembre 2008, du 11 août 2009 et du 24 août 2011], mais c’est un moment privilégié que d’assister à ce récital fort sensiblement élaboré. Laissons-nous charmer par L’aimable saison des zéphyrs ou par Beaux yeux, mais encore profondément interroger par la gravité boudeuse de Je fuis tous les plaisirs.
Après un saisissant Tombeau fait à Paris sur la mort de Monsieur de Blancheroche en ut mineur FbWV 632 que Froberger conçut en 1652 pour déplorer la chute fatale d’un ami luthiste, survenue en sa présence – l’homme, qui s’appelait en réalité Charles Fleury (1605-1652), fut de même salué sous le nom de Blancrocher par les compositeurs Gaultier Le Jeune (1603-1672), François Du Fault (1604-1672) et Louis Couperin –, nous goûtons les tragiques atermoiements des Stances du Cid où Charpentier s’empare avec génie des vers de Corneille. En bis, Martin Robidoux et Vincent Lièvre-Picard offrent Que je vous aime – Lambert, toujours.
BB