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Chroniques
Vincenzo Bellini | I puritani (opéra en version de concert)
Jessica Pratt, Yijie Shi, Julie Pasturaud, Éric Martin-Bonnet, etc.
Voici à nouveau rue Saint-Saëns, en version de concert, l’ultime ouvrage lyrique de Vincenzo Bellini (1801-1835), celui-là même « qui déclenche un enthousiasme indescriptible » en 1964 lors de sa création marseillaise au cours d’une soirée anthologique selon l’historien et mémoire vivante de l’Opéra municipal et du Grand Théâtre, André Segond. Et cinquante-cinq ans plus tard, quelle nouvelle embrassade avec la cité phocéenne !
Tout commence au prélude dans un mystère savamment cultivé par le doux trémolo des cordes, d’où la baguette dynamique de Giuliano Carella tire des effets admirables des cors, avant le frissonnement des bois et le tendre épanchement des flûtes. L’Orchestre de l’Opéra de Marseille semble se lever comme un seul homme ou, conformément au livret, comme le soleil perçant sur la forteresse anglaise de Plymouth au temps de la guerre civile. Il ne se dépare pas de cette saine unité au fil du très dense melodramma serio. Pour tant de naturel, par exemple à décrire la montée en puissance des officiers britanniques puritains, en guerre avec les royalistes en ce milieu du XVIIe siècle, saluons aussi la chaleur du Chœur maison, en floraison tout au long des trois actes. Avec vigueur et finesse, la valeur de l’expression chorale fait même rêver dans l’allegro des soldats dont le chef, tenu par le ténor Christophe Berry, se montre concentré, puis nerveux et brillant dans le récitatif. Passée une douce liesse (A festa), le chant embellit encore grâce au timbre musclé et à l’émission suave du baryton Jean-François Lapointe (Riccardo) qui se montre ferme et charmeur dans la cavatine Il duol che al cor mi plomba. L’intensité du personnage ne baisse en rien et, deux heures plus tard, au tout dernier tableau, on goûte avec quel plaisir vengeur il énonce l’arrêt de mort, d’un ton sanguinaire. À lui donc, enfin, le lyrisme barbare et démoniaque qui, pour marquer profondément les esprits, manque peut-être à l’ensemble de l’œuvre... Mais les prouesses vocales pleuvent et, par conséquent, les clameurs du public.
Ainsi le soprano Jessica Pratt (Elvira) conquiert les cœurs, d’une jolie voix de fillette tout d’abord. Modeste jouvencelle à marier, patiente et sage auprès de son oncle Giorgio, elle fait apparaître ses excellentes manières dans le chant, ensuite enfiévré de puissance et de contentement pour le premier duo. La basse Nicolas Courjal (Giorgio), romantique et fort expressive même dans la retenue, paraît très inspirée pour le nocturne Sorgea la notte folta. L’intensité progresse de manière exponentielle et donne vite satisfaction aux amateurs de bel canto. Suivant le courant fort des passions originales conçu par Bellini, le fameux quatuor de l’Acte I est gracieux, la scène de folie du II s’avère d’une poésie fantastique, incarnée par la bouleversante cantatrice australienne, extraordinaire dans ses vocalises. Captivant, Yijie Shi l’est sans aucun doute. Maître du mezza voce, il s’élance d’un timbre princier dans la douce mélodie A te, o cara, en véritable tenore di grazia. Son allant ne se dément pas pour relever le gant de Riccardo et encore moins pour enflammer l’immense duo amoureux avec Elvira, au troisième acte. L’artiste chinois porte haut en bravoure le duo avec la reine Enrichetta, réussite du mezzo Julie Pasturaud, ferme et émouvante, tout comme l’autoritaire Lord Walton tenu avec sobriété par la basse Éric Martin-Bonnet. En définitive, le symbole de ce franc succès des Puritains se dessine, clair et net, avec l’ouragan du prélude du dernier acte, quand le phénoménal Yijie Shi fait de la complainte d’Arturo le plus beau chant de héros solitaire.
FC