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Chroniques
Vingt mille lieues sous les mers
spectacle des Percussions Claviers de Lyon
Tout rattache Jules Verne (1828-1905) à l’océan : sa naissance dans un quartier de l'île Feydeau (Nantes) – un ancien îlot rocheux sur la Loire, soumis à l’urbanisation à partir du XVIIIe siècle –, sa mère issue d'une famille de navigateurs et d'armateurs, son frère cadet devenu marin, mais surtout cette légende qui voudrait qu’à onze ans, son père l’aurait empêché in extremis de s’embarquer comme mousse pour ces Indes où, des années plus tard, lui-même enverrait de force son fils Michel, jeune rebelle déjà flanqué en « redressement » à Mettray, dans l’ancêtre des bagnes pour enfants.
S’il navigue une fois devenu grand, le capitaine des Saint-Michel I, II et III le fait surtout à sa table de travail, en compagnie des personnages tirés de son imagination. Rendus populaires par les Voyages extraordinaires, somme de soixante-deux romans édités entre 1863 et 1905, ceux-ci entraînent le lecteur vers l’Australie (Mistress Branican, 1891) ou le Pôle Nord (Les aventures du capitaine Hatteras, 1866). Sur le Great Eastern, on vogue de Liverpool à New York (Une ville flottante, 1871) tandis qu’on chavire, en sens inverse, avec un navire dont le sort rappelle celui de La Méduse en 1816 (Le Chancellor, 1874) – mais, rite d’initiation oblige, les nombreux naufragés verniens, surtout adolescents, finissent plus souvent sur une plage (L’école des Robinsons, Deux ans de vacances, etc.) que sur un radeau, en proie au cannibalisme ! Et si l’on se rappelle bien, l’auteur français le plus traduit au monde n’a-t-il pas aussi inventé des flots intérieurs dans son Voyage au centre de la Terre (1864) ?
Débutant par l’éperonnage de l’Abraham-Lincoln, s’achevant sur la disparition du Nautilus dans les tourbillons d’un maelstrom, Vingt mille lieues sous les mers (1870) est le parangon des aventures maritimes. Pour l’évoquer, de même qu’ils associèrent Ravel à une lecture moderne et réussie des contes de Perrault [lire notre chronique du 13 février 2009], les Percussions Claviers de Lyon, institution désormais trentenaire, réunissent les pages diversement connues des Français Debussy (La mer, Images, etc.), Dukas (L’apprenti sorcier, La péri, etc.), Roussel (Le festin de l’araignée, Padmâvatî, etc.) et Saint-Saëns (Dance macabre, Orient et Occident, etc.). Pendant près d’une heure et demie, les mailloches ne prennent pas de repos, sauf quand les cinq musiciens se font diseurs (canon autour du nom des poissons, etc.). Comme souvent, Gérard Lecointe s’est chargé des transcriptions.
Derrière Sylvie Aubelle, Jérémy Daillet, Gilles Dumoulin, Dorian Lépidi et Benoît Poly, le fond de scène sert à projeter images fixes, parfois partiellement animées (fumée d’un bateau, bulles d’air, etc.), ou totalement mobiles. C’est le cas des héros du récit, le narrateur Arronax (Olivier Borle), Nemo (Renaud Golo) et Conseil (Baptiste Guiton), filmés en plan taille sur fond noir, dans une succession de postures et de chemises qui dit à elle seule la longueur du voyage. Présenté par un unique portrait dessiné, on regrette la présence physique du harponneur Ned Land, figure intrépide et bouffonne dont sut tirer parti Fleischer pour Disney en 1954, qui méritait plus qu’une voix-off.
Notre déception perdure car, au final, la magie du monde sous-marin n’est pas au rendez-vous. Où sont les kyrielles de poissons, de requins, de cétacés, et l’Atlantide qui auraient dû occuper ces profondeurs quasi désertes ? Pire, on préfère montrer l’intérieur du Nautilus (l’affreux salon bourgeois), des cartes marines et les rivages que ce qui fait l’intérêt du périple. Quant à l’adaptation d’Emmanuelle Prager, elle affiche certes « un profond respect du texte au langage soutenu », mais trop d’extraits font bâiller d’ennui, débités rapidement ou couverts par les notes. Quel enfant se soucie en détail du mode de fonctionnement du sous-marin, de sa faculté à franchir le Golfe persique, sans parler du prix de sa construction ? Si le spectacle gagne à faire entendre la sagesse misanthrope de Nemo, il rate l’essentiel en occultant l’enterrement au Royaume de corail (Première partie, chapitre XXIV). Le travail sur Perrault a-t-il été oublié ?
LB