Chroniques

par bertrand bolognesi

Vinko Globokar | Der Engel der Geschichte
Fabrice Bollon et Martyn Brabbins dirigent le

Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg
Musica / Tennis Club, Strasbourg
- 18 septembre 2004
le compositeur français d’origine slovène Vinko Globokar (né en 1934)
© dr

Le compositeur français d’origine slovène Vinko Globokar (né en 1934) prit une relative distance avec la scène contemporaine récente, après une présence remarqué de 1975 à 1990 environ. On se souvient de ses interventions à l’Ircam, à Radio France, ainsi qu’à de nombreux festivals comme Musica ou les Rencontres Internationales de Musique Contemporaine de Metz. Le public strasbourgeois le retrouve dans cette création de la troisième partie du vaste palimpseste commencé il y a quatre ans, Der Engel der Geschichte (en français : L’Ange de l’Histoire).

Inspirée d’un texte de Walter Benjamin, l’œuvre fait s’affronter deux orchestres où intervient l’électronique live, en trois mouvements qui suivent logiquement la chronologie d’un désastre, celui de l’ex-Yougoslavie. Zerfall (Désintégration) aborde la dégénérescence de l’ordre commun vers le particulier des totalitarismes nationalistes. La spatialisation s’y avère ingénieuse, les nombreux effets d’un groupe à l’autre fonctionnent plutôt bien, la gravité du thème abordé n’excluant pas un climat étonnement ludique. Des enregistrements de chants populaires des diverses régions concernées mises en conflit contaminent peu à peu ces jeux et échanges au départ relativement clairs, comme un élément perturbateur venu saper l’équilibre général pour mieux faire régner l’artifice autoritaire, évoqué par la théâtralité grandissante de la fin de cette partie. Mars, écrit en 2002, est l’effondrement de ce théâtre, la chute dans un chaos terrible, celui de la guerre interminable que l’on sait, gigantesque source de mort et de profits immoraux. L’instrumentarium se complexifie : s’y bousculent sifflets, accordéon, cris, soupirs et râles, un porte-voix, des détonations et autres signes à désigner la situation par l’encerclement sonore de l’auditeur. Froissant de larges feuilles de papiers, les instrumentistes terminent cette âpre séquence dans un murmure sans voix, tandis que Fabrice Bollon enflamme une page – un geste qui rappelle l’incendie de la Bibliothèque de Sarajevo, autrement dit la néantisation d’une inestimable pluralité culturelle. Le dernier mouvement, joué ce soir pour la première fois, s’intitule Hoffnung (Espoir). Il suggère une tentative de reconstruction, de restructuration de chaque orchestre, de chaque morceau de cette partie des Balkans. Volontairement, le compositeur n’y développe rien : il suspend la plupart de ses gestes (rien n’est sûr) dans un égayement déroutant.

Cette œuvre offre une multitude de tâches à tous les instrumentistes des deux orchestres, utilisant jusqu’à plus soif de nombreux effets sans éviter la redite, car l’histoire elle aussi se répète inlassablement sans que les hommes cessent de s’illusionner. Quel est cet Ange de Klee « ... qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard... » dont l’image désigne, pour Benjamin, L’Ange de l’Histoire ? Pour s’éloigner, il faut préalablement avoir été proche, et dans l’ici-bas du Tennis Club de Strasbourg, l’omniprésente surcharge de la trilogie de Globokar brouille tellement la faculté de perception, comme elle alourdit l’écoute, qu’aucun séraphin ne s’élève.

BB