Chroniques

par gilles charlassier

Voces Suaves et Benjamin Alard
Claudio Monteverdi et Johann Sebastian Bach

Festival de Saintes / Abbaye aux dames
- 16 juillet 2017
Les madrigalistes de l'ensemble Voces Suaves chantent Monteverdi
© sébastien laval

Identité baptismale du Festival de Saintes, le répertoire baroque se livre en version plus intime le soir du dimanche 16 juillet, après les formations (un peu) plus vastes des deux jours précédents [lire notre chronique de la veille]. L'économie n'empêche nullement l'inventivité scénographique : le spicilège de madrigaux de Monteverdi présenté par l'ensemble Voces Suaves en témoigne, tirant parti des ressources acoustiques du plateau et de l'abbaye pour jouer d'effets théâtraux non dénués de légèreté, au besoin.

Plutôt que suivre un strict ordonnancement musicologique ou essayer une artificieuse continuité narrative, les sept solistes, accompagnés, selon les pièces, par le théorbe admirablement complice d'Ori Harmelin, privilégient une errance poétique où les thèmes et les manières se répondent. Tiré du Livre II, Ecco mormorar l'onde ouvre sur une fraîcheur que le sonnet de Pétrarque Zefiro torna (Livre VI) contrebalance dans ses tercets d'une résignation amoureuse : la plénitude, à six, des deux quatrains, se teinte alors d'une inspiration plus recueillie. À deux et basse continue, Ohimè, dov'è il mio ben, extrait du Livre VII, approfondit l'introspection psychologique – et l'essence de la nouvelle manière, avec son primat mélodique.

Les victimes de Cupidon s'épanchent encore dans Sfogava con le stelle (Livre IV) et Cruda Amarilli (Livre V), mêlant les styles antiques et nouveaux avec une belle audace expressive, ici restituée avec une remarquable intelligence dramatique, laquelle éclot dans un Lamento della ninfa (Livre VIII) ingénieusement mis en espace, introduisant les appels de la nymphe du fond de la nef, progressant au fur et à mesure vers la scène, tandis que le consort masculin commente les aventures de l'héroïne. Loin de constituer une diversion par rapport au texte, le dispositif lui insuffle son authentique vitalité opératique et souligne ses couleurs et saveurs inimitables.

Après le furieux désespoir de Vattene pur, crudel (Livre III), La Sestina, extraite du Livre VI, exsude l'intensité de sa déploration. La Passacaille d'Alessandro Piccinini (1566-1638) forme un intermède instrumental mené avec une sensibilité au diapason du recueil. Le sens de l'effet dans T'amo, mia vita (Livre V) se double d'une gourmandise évidente que l'on n'exclura pas d’Io mi son giovinetta (Livre IV). Du même volume, Ohimè, se tanto amate fait une dernière étape dolosive avant un lumineux Presso un fiume tranquillo, puisé dans le Livre VI.

En seconde partie de soirée (22h), Benjamin Alard livre sa lecture des Goldberg-Variationen BWV 988. Nimbé dans un éclairage presque confidentiel, le claveciniste détaille une élégance dans la ligne et les ornementations que l'on qualifierait aisément de française, sans jamais verser dans la virtuosité ostentatoire ni négliger la concentration formelle. Quoiqu’affecté de ce tropisme, le synthétisme européen n'en ressort pas déséquilibré. Si de tels choix favorisent certains numéros, l'intégrité du cycle se trouve à peine altérée par une acoustique parfois moins favorable aux registres graves.

GC