Recherche
Chroniques
Votre Faust
fantaisie variable genre opéra d’Henri Pousseur
Après sa rencontre du dodécaphonisme dans l’Europe d’après-guerre, Henri Pousseur (1929-2009) est le Belge qui invente la nouvelle musique aux côtés de Stockhausen, Berio et Boulez, lequel le décrit comme « le plus obstinément utopiste de toute la bande » – à titre anecdotique, rappelons que leurs deux noms sont associés lors du premier concert de l’ensemble Musiques nouvelles, fondé en 1962 par Pierre Bartholomée. Pédagogue et bâtisseur passionné (Centre de Recherches et de Formation Musicales de Wallonie, 1970), inventeur et lecteur exigeant, Pousseur trouve chez Michel Butor matière à nombre de pièces hétérogènes, entre Répons avec son paysage (1965) et L'Antre de la nymphe (2006). Parmi celles proches du théâtre, ayant conduit à plusieurs œuvres-satellites, citons Die Erprobung des Petrus Hebraïcus (1974) et Votre Faust, la plus connue (1969, révision en 1981).
Rare sur nos scènes depuis sa création-naufrage à la Piccola Scala (Milan), cette « fantaisie variable genre opéra » appartient à la veine aléatoire, dont le premier des trois actes expose la situation. Henri (Pierre-Benoist Varoclier), un jeune homme qui souffre de donner des conférences sur la musique au lieu d’en faire, reçoit l’offre d’un directeur de théâtre envahissant (Vincent Schmitt) : du temps et de l’argent pour composer, à condition d’écrire un Faust – sujet qui, selon lui, répond au goût et au besoin du public. Durant l’entracte, ce dernier doit décider qui des deux sœurs sera l’unique héroïne (Laëtitia Spigarelli), douce Maggy ou Greta délurée. Par quatre fois, en manifestant physiquement adhésion ou désaccord, il aura l’occasion de changer le cours de l’histoire pour orienter le voyage des amoureux vers le happy-end ou le désastre.
À l’inverse de celle de Montreuil la semaine passée [lire nos confrères Bruno Serrou et Michèle Tosi], notre salle choisit le bonheur avec Maggy, personnage positif dont la disparition intrigue. Mais trop de fadeur fait sortir l’assistance de ses gonds ! Passées messe noire et séance de marionnettes, tout s’achève dans l’amertume, avec une morte criant vengeance et le meneur diabolique qui, ayant asservi la cantatrice d’Éléonore Briganti [lire notre chronique du 2 février 2012], propose à Richard (Antoine Sarrazin), ami du héros dévasté, de reprendre le projet. De la présentation berlinoise d’avril 2013, à juste titre le Frankfurter Allgemeine Zeitung parla d’une pagaille qui démontre « comment une démocratie sans compétence et poussant en permanence à la démonstration court à sa perte ».
Sous des guirlandes d’ampoules foraines, Aliénor Dauchez (compagnie La Cage) met en scène l’ouvrage avec une liberté rappelant celle d’Heiner Goebbels pour Delusion of the fury [lire notre chronique du 28 mars 2014], jusque au cœur de l’entracte qui invite les votants à boire une soupe, recevoir des câlins gratuits ou encore parier un euro sur l’une des cinq fins possibles. Se changeant à vue, les comédiens gagnent différentes estrades à roulettes, dont une pneumatique qui imite les cahots du transport (train, avion, bateau) – au troisième acte, le plus lassant... Déguisés avec fantaisie face au trouble Laurent Cuniot (une autre queue sous la queue-de-pie), les douze musiciens de TM+ occupent la largeur du haut de scène, auxquels se mêlent quatre chanteurs du Vocalconsort Berlin : Angela Postweiler (soprano), Natalia Pschentschnikova (alto), Friedemann Büttner (ténor) et Kai-Uwe Fahnert (basse).
Ce soir, la préférence féminine de notre Faust fait entendre Gluck (Orphée et Eurydice) plutôt que Mozart (Don Giovanni), et l’on goûte d’autres citations, plus ou moins dérobées. Elles nourrissent en abondance une partition postmoderne entre cacophonie (bande-son parlée, applaudissements, bruitages, etc.) et dépouillement (intermèdes), entre sérieux et clin d’œil – un épisode didactique trahit l’amour de Pousseur pour Webern, une trompette virtuose s’amuse avec Bizet, Stravinsky, Gounod, etc. De quoi redonner du sens au terme spectacle total !
LB