Chroniques

par jérémie szpirglas

Vous avez la parole, vous avez ma parole !
spectacle de Jacques Rebotier

Aujourd'hui Musiques / Auditorium du CNR, Perpignan
- 7 novembre 2009
Vous avez la parole, vous avez ma parole !, spectacle de Jacques Rebotier
© dr

Entre les compositeurs qui se sentent obligés de commenter, d'expliquer, de se perdre en interminables laïus sur les tenants, les aboutissants, les ressorts philosophiques ou esthétiques de chacune de leurs œuvres, même les plus mineures, ceux pour lesquels le discours idéologique habite chaque note écrite (ou non écrite, d'ailleurs) et les autres, chez qui la déconstruction de la langue est au cœur de l'inspiration, les rapports entre le langage et la musique de notre temps sont riches, complexes, variés, et pourraient être le sujet de nombreuses années de recherche (et plus d'un musicologue s'y colle).

Jacques Rebotier, lui, va un pas plus loin. Artiste plus ou moins dada, hybride et inclassable – écrivain beaucoup, compositeur tout autant, metteur en scène occasionnel, mais aussi un peu comédien et performer –, il compose avec Vous avez la parole, vous avez ma parole !, donné dans le cadre du festival Aujourd'hui Musiques à Perpignan, un concert-lecture d'un nouveau genre. Il y repousse les limites du théâtre musical, autant que celles de l'écriture et de la composition. Verbe et musique n'y sont plus seulement en contrepoint, mais utilisés au même titre dans le cours du discours littéro-musical, l'élément musical devenant parfois lexique, parfois ponctuation. Rebotier étend ainsi d'une manière inédite l'art de la lecture.

La voix elle-même est musicalisée – du moins celle de l'auteur qui se met en scène avec les musiciens de l'Ensemble Court-circuit. Traitée en direct par un système électronique made in Ircam, elle ressort tantôt avec le timbre d'une jeune femme, tantôt d'un vieil homme ou d'un enfant, tantôt de trois ou quatre personnes à la fois – et ces contrastes dans le traitement, souvent réunis au sein d'une même phrase, voire d'un même syntagme, mettent en relief autant le comique de cette prose poétique que sa richesse sémantique.

Quant aux textes – quel bonheur ! Que ce soit la Petite collection de mots transsexuels, le Petit concert de regard (écrit avec l'aide de son chat), ou les diverses Autobiographies rebotières, c'est toujours un feu d'artifice de fantaisie, de légèreté, d'humour qui nous fait voir (et entendre) la langue comme jamais !

Le concert se clôt sur un hommage au poète allemand Ernst Herbeck qui, longtemps interné, écrivit, sur ordonnance de son psychiatre, un poème par jour durant plus de quinze ans. Ce sont là touchantes ou drolatiques miniatures composées à partir d'un matériau extrêmement réduit, et qui puisent leur force dans une apparente simplicité. « La poésie, c'est passager… » nous dit-il avec un sourire lointain.

JS