Chroniques

par bertrand bolognesi

Wagner absorbé par Wolf et Kocsis
récital François-Frédéric Guy

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 8 février 2013
François-Frédéric Guy joue les paraphrases wagnériennes d'Hugo Wolf à l'Opéra
© dr | hugo wolf, dessin de ferdinand schmutzer

Grande cohérence, toujours, que celle des menus chambristes donnés à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille : ce soir, tandis que la maison reprend le Ring qu’y signait Günter Krämer il y a trois ans [lire notre chronique du 4 février 2013], c’est du piano que François-Frédéric fait entendre la musique de Richard Wagner – ohne Stimme, donc. Alors qu’une quinzaine d’opus conçus par Liszt à partir du monument wagnérien se tenaient tout prêts, c’est sur la récente transcription par Kocsis du Prélude de « Tristan une Isolde » que le pianiste français a porté un choix judicieux, mais encore sur les deux paraphrases assez méconnues écrites par Hugo Wolf dans ses jeunes années, vraisemblablement jouées alors dans le cadre de concerts privés.

D’emblée, la Paraphrase über « Die Meistersinger von Nürnberg » von Richard Wagner happe l’écoute par la dynamique raffinée de l’interprétation, dynamique édifiée sur un son riche, nourri même, qui « orchestre », pour ainsi dire, une écriture pianistique qui (venant de là) s’y prête volontiers. L’art de la paraphrase est plus créatif que l’exercice de la transcription, moins anecdotique que celui du pot-pourri et moins distancié encore des « à la manière de » : il s’agit du savant entre-deux de l’appropriation en hommage sans imprégnation stylistique de l’original. Ainsi entend-on bel et bien le piano d’Hugo Wolf dans ce tissage de thèmes parfaitement reconnaissables des Maîtres chanteurs dont l’impact lyrique est « précieusement » détourné jusqu’à l’hybride Lied sans paroles. L’habillage en est inévitablement un rien salonard, mais encore invite-t-il le pianiste à sculpter dans un granit impérieux les passages les plus grandiloquents. Si l’œuvre explore en ses débuts ce que l’opéra contient de plus tendre, c’est dans la majesté du Prélude qu’elle se conclut.

Notre petit et terne antiwagnérien apatride ayant oublié de s’en donner « la peine » (faut-il comprendre que l’acharnement à collecter des sottises l’ait rendu joyeux ?... la réponse est sans doute à chercher dans le prochain Mickey madrilène forcément mieux renseigné que ses hoquets, quand bien même sont-ils publiés), c’est entre amis qu’on assiste à ce moment, à l’abri de logorrhées tant fiévreuses que remâchées. Il y a quelques années, François-Frédéric Guy nous confiait : « la musique que je préfère a été écrite par trois personnes qui n'ont jamais composé une œuvre pour piano : Wagner, Mahler et Bruckner » [lire notre entretien de février 2005] ; s’il est difficile (sinon impossible) d’aborder le troisième « en noir et en blanc », les nombreux Lieder du Viennois offrent aisément à satisfaire cette inclination – mais encore une certaine version du Lied von der Erde [lire notre chronique du 5 juin 2008] – et l’artiste trouve heureuse matière à transmettre son goût wagnérien dans la Paraphrase über « Die Walküre » (entre autres) qui aborde la première journée de la Tétralogie par Wotan. Cette page tresse adroitement la dramaturgie musicale évoquée, dans un respect plus religieux que timoré, puisque sans complexe elle s’affranchit fort heureusement de la sempiternelle chevauchée pour s’en tenir à l’essentiel. Wolf délaisse les démonstrations de la précédente paraphrase à la faveur d’une méditation plus dense. L’interprète projette une lumière enthousiaste sur l’amour incestueux des Wälsung et, par une rigoureuse différentiation des frappes et une pédalisation très précisément choisie, cisèle un feu remarquable.

Le pianiste hongrois Zoltán Kocsis s’est attelé à plusieurs transcriptions wagnériennes (il les enregistrait d’ailleurs chez Philips en 1997), dont celle du Prélude de « Tristan und Isolde » qui ouvre la seconde partie du récital. La grande arche lyrique gagne progressivement son emphase dans un son plein qui articule savamment sa nuance, avec un brin de maniérisme affecté qui conduit bientôt au funèbre adagio suspendu. C’est sous cette protection que François-Frédéric Guy enchaîne l’amorce Lento assai de la Sonate en si mineur S.178 de Liszt (sans interruption), une œuvre qu’il joue souvent et dont il infléchit sensiblement l’architecture. Cependant, quelques scories révèlent une fatigue qu’un programme moins copieux aurait évitée. Ces anicroches sont vite effacées par un bis de belle tenue : l’extatique Liebestod S.447 de 1867 (Wagner/Liszt) – souhaitons à beaucoup d’Isolde de mourir ainsi !

BB