Chroniques

par bertrand bolognesi

Wagner et Mahler par Mariss Jansons
Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 9 mars 2008
Mariss Jansons joue la 1ère de Mahler au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© dr

La hargne du public parisien n'est pas une légende : si celui de Dijon attendit calmement deux heures, samedi soir, pour goûter au concert retardé du LSO pour cause d'instruments retenus à Douvres par les suites d'une grève des ferries, celui de l'avenue Montaigne grogne lorsque Dominique Meyer (maître des lieux) annonce le début de la soirée pour 20h30 – au lieu de 20h, la belle affaire ! – pour les mêmes raisons. C'est donc face à une salle un rien revêche que les musiciens du Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks prennent place, sans y avoir répété le programme annoncé ni avoir pu effectuer les derniers règlements et raccords d'usage.

Mariss Jansonsdépose l'aigu tendre du Prélude du premier acte de Lohengrin sans crier gare, les attaques suivantes trahissant à peine des cuivres un peu nerveux (on les comprend). Très parcimonieux avec le déploiement de la sonorité, le chef Letton investit peu à peu l'espace, distillant une pâte raffinée d’un geste expressif continu, toujours extrêmement concentré. Sous sa battue, la conclusion se fait des plus concises, dans une évidente sveltesse de conception.

Calmé, le public accueille le mezzo-soprano Mihoko Fujimura pour une exécution des Wesendonck Lieder composés par Wagner en 1857/58, puis orchestrés par le chef Felix Mottl quelques années après le premier Ring de Bayreuth auquel, en tant qu'assistant du maître, il fut tout dévoué. L'orchestre bavarois s'y montre souple, net, tout en retenue, arborant de délicats échanges instrumentaux. À la tendresse du violon solo de Der Engel répond la suavité triste du violoncelle de Stehe still et les demi-teintes savantes d'Im Treibhaus. Précis et attentif, Jansons prend soin des équilibres qu'il met au service de la chanteuse. Si de celle-ci l'on apprécie l'évidente gestion du souffle, la belle conduite de la nuance et une couleur généreuse, on regrettera une expressivité infiniment distante, quelques soucis de justesse et un legato trop maigre.

C'est dans un gel plein de danger que Mariss Jansons ouvre la Symphonie en ré majeur n°1 de Mahler. Selon un procédé dont il usait dans le prélude wagnérien, il distille la démesure mahlérienne, faisant paraître plus mature la facture de l'œuvre. Moelleux s'affirme le thème pastoral, sans déroger à une simplicité toute naturelle. Le chef en pose un à un les éléments, précautionneusement, de sorte qu'en trouvant ensuite son élan le mouvement paraît d'autant plus volubile. C'est alors dans le final que la jeunesse du compositeur (vingt-cinq ans) rencontre la maîtrise du chef. Si le Langsam initialparutsagementjalonné, le Kräftig bewegt, doch nicht zu schnell chausse des sabots franchement cordiaux. On goûte l'excellence des cuivres – infaillibilité des cors, même dans l'infiniment doux – et d'exemplaires unissons de contrebasses, car au plus copieux de la pâte orchestrale le détail demeure perceptible. Le Trio rencontre une sensualité joueuse dont le geste est aimable, avant une fin joyeusement cinglante.

L'aigu savamment précaire, directement touchant, de la contrebasse solo du troisième mouvement impose une réception « villageoise », pourrait-on dire, à l'épisode. La synthèse des hésitations précédentes se résout là où Jansons suspend la pulsation hors de la battue, dans la transition des trois motifs. Enfin, le déchaînement de Stürmisch bewegt relativise l'indication, portant l'apocalypse à des voluptés médianes d'une crépusculaire mélancolie, expressivité violemment menée que la baguette tend, en derniers recours, jusqu'à la rupture. Les râleurs restent sans voix…

BB