Chroniques

par bertrand bolognesi

Wagner par Marek Janowski
Chœur et Orchestre Philharmonique de Radio France

Annette Dasch, Albert Dohmen, Stephen Gould et Violetta Urmana
Salle Pleyel, Paris
- 4 et 6 janvier 2013
à la tête du Philhar', Marek Janowski ouvre l'année Wagner à Paris
© klaus rudolph

En ces premiers jours de l’année, il paraît bien naturel que Marek Janowski, « patron » pendant plus de quinze ans de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, en retrouve la barre pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Outre qu’à ce poste il a beaucoup œuvré à former une sonorité qui autorisât mieux l’abord des grandes partitions du répertoire allemand (souvenons-nous du Ring des Chorégies, entre autres), le chef enregistre depuis deux ans une intégrale des opéras de Wagner, captée sur le vif lors de concerts avec le Rundfunks Sinfonieorchester Berlin.

Plutôt que de réitérer à Paris l’exécution complète d’un opéra du maître, Janowski a décidé de présenter quelques extraits choisis de manière à dessiner une certaine cohérence aux deux rendez-vous de cette fin de semaine. C’est donc l’Ouverture du fliegende Holländer qui lance la fête, vendredi ! La tonicité tempétueuse qui la caractérise rencontre bientôt un moelleux généreux, consolation des tourments passés et à venir, un hors-temps presque rêvé que magnifie l’alliage des vents (cor anglais, basson et cor ; puis hautbois, clarinette et cor), d’une tenue exemplaire. Le martyr du damné reprend vite le dessus, dans une emphase soigneusement contenue, jusqu’à conclure dans l’alternance chatoyante du dramatique et du merveilleux (ou fantastique, comme il vous plaira).

Quatre traits marqueront ces concerts : le sain équilibre expressif dans lequel Marek Janowski maintient savamment ses lectures, l’extrême ciselure de la réalisation, l’excellence des bois, enfin la récurrente inexactitude des cuivres, somme toute sympathique en ce qu’à s’en priver l’on ne se sentirait sans doute pas tout à fait chez soi… Le Vorspiel du premier acte de Lohengrin avance non sans mystère une couleur travaillée. Après l’opiniâtre sonnerie que l’on sait, celui du III développe une élégance simple, rehaussée par la prégnance des harpes (sur le chœur nuptial). Deux voix gagnent alors le plateau pour le grand duo. Stephen Gould livre un Lohengrin un rien en dessous de la note, décidément un peu raide dès le haut-médium, parfois dur dans l’aigu, trop peu nuancé, que ne retient guère l’écoute. À l’inverse, Annette Dasch, avec des moyens moins opulents, offre à Elsa un chaleureux incarnat, une tendre lumière du timbre, mais encore une remarquable présence au texte, valeureusement nuancée par un chant attachant. Ainsi « Hörtest du nichts ? Vernahmest du kein Kommen ? » prend-il un poids déterminant qui élève l’auditoire bien au delà du plafond de Pleyel. Ces qualités, que nous remarquions à Bayreuth dans le même rôle [lire notre chronique du 14 août 2011] comme au Théâtre de la Ville lors d’une Liederabend au programme rare [lire notre chronique du 10 mars 2007], en font indéniablement une grande musicienne.

L’Ouverture de Tannhäuser s’introduit par un choral soigneusement ténu sur lequel les cordes font une entrée leste et moelleuse tout à la fois. De même sur le retour recueilli du motif initial surgit le frémissement de la bacchanale, frais comme une démangeaison, amenant un second thème à l’ampoule quasi sexuelle. Voilà le public happé par le Vorspiel de Tristan und Isolde – le moment le plus probant de ces soirées, assurément – et bientôt enthousiasmé par la facilité confondante du chant de Violetta Urmana dans un Liebestod d’une « pitié » confondante.

Dimanche après-midi, Stephen Gould donne un Parsifal plus concluant, quoique d’un impact encore irrégulier qui accuse un médium largement « flottant ». Nous retrouvons le magistral Albert Dohmen – ces pages saluaient il y a peu son fort bel Hollandais, sous la même battue [lire notre critique du CD] – qui peine cependant à trouver son Gurnemanz, aujourd’hui. Les premiers pas sont nasalisés, puis le vibrato s’épanouit, chassant ce désagrément à la faveur de l’inconfort du navire, pour ainsi dire… Ce n’est que sur le dernier tiers de la scène (« der liess sie so gedeihen… ») que toute la voix s’offre enfin. Quant à elle, l’incise janowskienne marque un nouveau point.

L’exécution de Siegfried-Idyll ne nous contredira pas, interprétation d’une saine fraîcheur qui traverse l’inflexion générale comme le fluide solo de basson possédant juste ce qu’il faut de sel pour amener la flûte et les autres bois dont la suavité particulière de la clarinette semble alors se faire la bienheureuse synthèse. On admire la gaillarde impédance des violoncelles, tout comme un moment en superposition de tremolos qui parcourt magiquement les violons. Tout en laissant s’exprimer des traits solistiques comme discrètement choyés, le chef maintient un équilibre précieux en se gardant d’« appuyer » aucun pupitre.

Enfin, Götterdämmerung
Après un Voyage de Siegfried sur le Rhin curieusement « brossé », la Marche funèbre gagne une hauteur et une tension qui renouent avec les autres pages au menu. L’immolation, en revanche, laisse sur sa faim : Violetta Urmana prête sans conteste un format et une couleur idéalement confortables à Brünnhilde, mais le chant manque ici de legato, affichant des intervalles parfaitement négociés à l’encontre d’une ligne plutôt fragmentée… qui souffle le froid.

BB