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Chroniques
Waltraud Meier chante les Wesendonck Lieder
Orchestre du Conservatoire de Paris, Jonathan Darlington
Wagner et l'effet nerveux ou psychique de son lyrisme sur l'auditeur, sujet rebattu de Baudelaire à Nietzsche, en passant encore par Jung, puis la société freudienne actuelle (cf. le récent numéro de la revue Topique intitulé Entendre Wagner), et question renouvelée à l'écoute des Wesendonck Lieder par le légendaire mezzo-soprano allemand Waltraud Meier à la Philharmonie de Paris... En peu de mots, superficiel au sens premier du terme, le critique répondra : quelque chose de sidéral. L'impression se fait au fin fond de Träume (Rêves) qui referme le fameux cycle de cinq Lieder empli de l'idéal d'amour entre Richard et Mathilde.
Träume semble un voyage astral à travers le temps, depuis l'appel initial « Dis, quels rêves merveilleux » (Sag, welch'wunderbare Träume) jusqu'aux dernières lueurs qui « descendent au tombeau » (Und dann sinken in die Gruft), évoquant finalement l'âme d'un enfant (Frühlingsonne, soleil de printemps, comme l'ultime image d'une célèbre odyssée de l'espace...). C’est le sommet de ce court hommage parisien en forme de chassé-croisé entre la cantatrice wagnérienne par excellence, jeune retraitée des scènes d'opéra, et le jeune Orchestre du Conservatoire de Paris, bel ensemble lancé peut-être au défi immense d'une possible carrière en musique aujourd'hui. Comme pour adoucir la ferveur orchestrale, Waltraud Meier ouvre ce bref récital par une expression simple, proche du parlé, avec un liant remarquable. Le chant devient plus chaleureux au second Lied, plus impératif, avant la belle symbiose avec l'orchestre pour Im Treibhaus (Dans la serre), gage de frissons pour toute la salle, dans un silence total où survient le prodige vocal, semblant de clarté absolue et d'émission parfaite. Mais c'est peut-être dans Schmerzen (Douleurs) que Waltraud Meier donne le mieux de la voix pour signifier, avec un fort accent de révolte, à Paris avec des étudiants, que l'aube revient toujours après l'heure la plus sombre.
Les Wesendonck Lieder sont au cœur d'une soirée placée sous le signe du romantisme, mettant tout d'abord à l'honneur Richard Strauss et la suite tirée, en 1944, de son célèbre opéra Der Rosenkavalier (1911). Une entrée en matière difficile pour l'orchestre, pris au piège d'un volume colossal, l’opus 39 tourne au grand soufflé instrumental, morne et grossier, en dépit des percussions savamment éclatantes et de contrastes parfois vertigineux, rappelant la centenaire Alpensinfonie. Mais la clé de cette œuvre peut-être bouleversante ne figure pas au trousseau du chef invité, Jonathan Darlington, directeur musical de l'Opéra de Vancouver (maison – hélas ! – en difficulté, sa saison bientôt réduite à un festival printanier).
Les spectateurs partis à l'entracte sur les pas de Waltraud Meier manquent, en seconde partie de soirée, toute une aventure musicale plus complexe, certes, mais aussi plus consistante. Le Pelleas und Melisande Op.5 de Schönberg est une victoire à plates coutures de l'orchestre et de son chef, armés notamment de la patience nécessaire à l'émergence des motifs inauguraux. Ce poème symphonique, inspiré de la pièce de Maeterlinck et créé à Vienne en 1905, est une plongée dans les profondeurs du mystère de Mélisande (surtout), c'est-à-dire tour à tour contemplative, spirituelle, un peu hermétique, très onirique... Un monde en expansion, plutôt tourné vers soi (à la limite de l'autisme), comme un miroir de l'esprit : ainsi pourrait se définir cette musique symphonique moderne, suivant une trame théâtrale tragique dans ses amours déçus, sa violence sanglante, sa folie solitaire et enfin son majestueux message de bonté, ouvrant sur un infini.
FC