Chroniques

par françois cavaillès

War Requiem
musique de Benjamin Britten – mise en scène d’Yoshi Oïda

Opéra national de Lyon
- 9 octobre 2017
Yoshi Oïda met en scène War Requiem de Britten à l'Opéra national de Lyon
© bertrand stofleth

Lorsque War Requiem, bouleversant manifeste de Benjamin Britten en faveur de la paix, au lyrisme si particulier, revient aux Terreaux (sa première en capitale des Gaules remontant au Festival de Lyon de l'été 1973, avec pour soprano invitée la belle Galloise Elizabeth Vaughan), les drapeaux rouges flottent à l'entrée de l'opéra. Révélant des conditions de travail indécentes et le manque de reconnaissance en général (en négociations depuis trois mois pour en arriver au préavis de grève), costumiers, machinistes et artistes du chœur en sont réduits à énoncer au grand public le montant de salaires de misère. Que la nouvelle saison de l'Opéra national de Lyon en soit menacée paraît presque un moindre mal, tant cette triste situation interne, déplorable à un point insensé, ne peut provenir que de dysfonctionnements inquiétants et indignes de la culture vivante. Pourvu qu'un nouvel esprit d'équipe permette d'en sortir bientôt !

La gravité est le caractère premier de l'œuvre hybride de Britten, créée en 1962 à l'occasion de la consécration de la nouvelle cathédrale de Coventry – l'ancien édifice avait été détruit par les bombardements de 1940. Messe lyrique ou requiem non liturgique, elle peut se concevoir comme un profond cri du cœur contre toute injuste violence.

Plus souvent donné en oratorio, conformément à son apparence de symphonie chorale, War Requiem inspire au vénérable homme de théâtre Yoshi Oïda une mise en scène très impressionnante, aux grands tableaux symétriques détaillés parfois avec une forte sensibilité japonaise – l’artiste affectionne d’ailleurs l’univers britténien [lire nos chroniques du 10 avril 2005, du 23 mai 2009 et du 10 avril 2014]. Immense entreprise que de structurer deux chœurs, deux orchestres et trois chanteurs solistes selon les différents niveaux concurrents d'entendement poétique – la grande célébration de la messe des morts, la voix fantastique du chœur d'enfants accompagné par l'orgue et le chant dramatique des magnifiques vers de Wilfrid Owen, jeune officier britannique tué en France avant l'armistice de 1918. Le résultat, superbe et délicat (ainsi la sobriété élégante des costumes de Thibault Vancraenenbroeck), atteint une visée universelle par la juste représentation, très symbolique, de la force bienveillante de reconstruction, rendue possible dans le deuil.

À la clarté du dispositif scénique, évidente grâce aux lumières sobres et formidablement concises (Lutz Deppe), s'ajoute au delà des centaines d'exécutants (fosse incluse) une certaine dimension esthétisante du décor animé (Tom Schenk), par l'effeuillement grandiose de vastes tissus peints au fil du spectacle, pudique et sincère, de la guerre vécue comme une absurde infection par-delà les dogmes religieux, politiques ou patriotiques. Quelques vidéos viennent également illustrer le propos guerrier, avec simplicité et sans rien à observer de très original. Les linceuls, poupées ou marionnettes ont plus de place que les cadavres (invisibles par pudeur ou essentiels par défaut) et les images photographiques des disparus, en tant qu'éléments du devoir de mémoire, remplacent toutes celles, banalisées, des engins balistiques et autres moyens d'impacts futiles et d'actions triviales de la part des belligérants.

Les très estimables Chœur et Maîtrise de l'Opéra national de Lyon, dirigés respectivement par Geneviève Ellis et Karine Locatelli, sont naturellement le sel du requiem. Leur chant a le plus d'effet à rendre vivants les grands desseins de Britten, et leurs mouvements vers ou avec les trois personnages du drame (dans un jeu théâtral) donnent corps à une œuvre pleine d'esprit, notamment avec l'aide précieuse de la chorégraphe Maxine Braham.

Dans un art lyrique conceptuel, chargé d'accents et de rimes mais encore dans des rôles humains, Paul Groves est le ténor impeccable de ton [lire nos chroniques du 22 janvier et 2 juin 2004, puis du 21 novembre 2015], Lauri Vasar le baryton élégiaque [lire nos chroniques du 3 juin 2012, du 29 mars 2013, du 17 mai 2014, du 23 mai 2016 et 23 août 2017] et Ekaterina Scherbachenko le soprano aux élans de compassion [lire notre chronique du 13 mai 2016]. Leurs talents de comédiens sont sollicités pour créer les différentes ambiances, selon le projet d’origine de multiplier les références textuelles (à une scène biblique, par exemple) tout en régulant l'intensité musicale fidèlement aux mots de la liturgie ou à ceux du poète-soldat Owen. Une haute performance instrumentale est donc requise. Fort heureusement, l'Orchestre maison suit avec réussite Daniele Rustioni, son nouveau chef permanent [lire nos chroniques du 7 juin 2014, du 30 mars et du 3 août 2016, enfin du 14 août 2017], dans ce répertoire peut-être peu familier, encore moins facile, fabuleux à écouter de bout en bout.

FC