Chroniques

par gilles charlassier

War Requiem Op.66 de Benjamin Britten
Katherine Broderick, David Butt Philip, Hanno Müller-Brachmann

Orchestre national Montpellier Occitanie, Michael Schønwandt
Opéra national Montpellier Occitanie / Corum
- 16 février 2018
Hanno Müller-Brachmann chant War Requiem de Britten à Montpellier
© dr

Le centenaire de l'Armistice de 1918 donne, cette année, un coup de projecteur supplémentaire sur les commémorations de la Grande Guerre. Quelques mois après la version scénique à Lyon, réglée par Yoshi Oïda [lire notre chronique du 9 octobre 2017], Montpellier met à l'affiche le War Requiem Op.66 de Benjamin Britten, pour deux concerts.

L'absence de mise en scène ne signifie pas pour autant une indifférence à une dramatisation de l'espace, laquelle vient seconder une lecture attentive au souffle à la fois universel et intime, religieux et narratif de la partition. Cela se vérifie dès les mesures augurales. Après le murmure introductif, par le chœur au fond du plateau, des premières paroles duRequiem aeternam, scandées par le glas, un chœur d'enfants vient, depuis les hauteurs du Corum, déposer un voile d'innocence sur la gravité de la masse recueillie.

Le sens d'une composition quasi théâtrale se confirme avec les poèmes de Wilfried Owen, interprétés par un ténor et un baryton. Ils tissent, en parallèle au rituel chrétien, une saisissante dramaturgie dénonçant la guerre et ses atrocités jusqu'à une tragique absurdité qui fut aussi le destin de l'écrivain britannique, mort au front une semaine avant la fin du conflit – ses parents recevront le funeste télégramme le jour de l'Armistice. Dévolue au ténor, la première intervention en anglais met d'emblée en évidence la noblesse instinctive de David Butt Philip dont la vigueur sans faiblesse se conjugue à une admirable justesse expressive [lire nos chroniques du 30 juin 2017 et du 21 mars 2016]. Au pupitre de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, la baguette de Michael Schønwandt s'attache à pétrir la continuité hétérogène de l'ouvrage, de la plénitude symphonique de l'office latin, relayée entre autres par une belle densité des cordes, soulignée jusqu'à l'octobasse, aux soli sur les textes d'Owen, confinés côté cour, qui dialoguent avec une orchestration chambriste dominée par les humeurs de l'harmonie et de percussions parfois graciles.

Le Dies irae prend des allures de fresque – l'intensification de la marche chorale rappelle Berlioz, patronage qui n'étonnera pas de l'autre côté de la Manche, pionnier dans la redécouverte du musicien français. Hanno Müller-Brachmann [photo] assume les interventions du baryton, avant le Lacrimosa psalmodié avec sentiment par le soprano Katherine Broderick, à la proue des effectifs chorals [lire notre chronique d’Owen Wingrave]. À l'inverse de ses partenaires masculins, elle ne s'isole pas des ensembles, ne chantant que les paroles latines. La répartition spatiale restitue ainsi la balance entre sacré et profane, articulée avec une fluidité intelligente par le chef danois.

Reprenant l'évocation du sacrifice d'Abraham, l'Offertoire commenté par Owen réserve une surprise. À rebours du salut du fils grâce à l'ange, l'Europe a conduit à la mort ses enfants, one by one – un duo poignant où les personnalités des deux solistes se complètent, avant le chœur d'enfants de l'Hostias.

Au brillant du Sanctus, initié par un soprano dont la vaillance compense des couleurs çà et là ingrates, succède l'apaisement de l'Agnus Dei, et à la déclamation fébrile du baryton l'intériorité consolatrice du ténor. Si le Libera me emprunte un dramatisme à nouveau plus extraverti, c'est la rencontre post mortem des deux soldats, que seuls un uniforme et une ligne rendirent ennemis, qui noue les gorges. Hanno Müller-Brachmann se révèle à son meilleur dans le dénuement eschatologique où il reconnaît l'homme dans l'adversaire qui l'a tué [lire nos chroniques du 31 octobre 2003, du 14 juin 2004, des 4 et 23 juillet 2007, du 30 mars 2011 et du 8 juin 2013].

Légataires des dernières notes, le Chœur Opéra national Montpellier Occitanie, préparé par Noëlle Gény, et complété par celui d'Angers Nantes Opéra emmenés par Xavier Ribes, déploie tout au long de la soirée un métier investi, autant dans la ferveur collective que dans la mobilité fuguée des masses, impulsée par la direction musicale. Tout de noir vêtu, le Chœur Opéra Junior, qui a travaillé avec Caroline Comola, se montre au diapason de ce frémissement d'humanité. Indéniablement, le War Requiem appartient aux œuvres qui portent public et interprètes, et les formations montpelliéraines ont désormais retrouvé les moyens pour se montrer à la hauteur.

GC