Chroniques

par bertrand bolognesi

week-end romantique
Brahms, Mendelssohn, Reinecke et Schumann

artistes des Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris
Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 8 et 9 avril 2017
Abend, de Caspar Friedrich (1824), photographié par Bertrand Bolognesi (2016)
© bertrand bolognesi, mannheim 2016 | caspar david friedrich – abend, 1824

En huit concerts chambristes, l’Opéra national de Paris propose une immersion dans l’univers romantique, donc dans les Allemagne et Autriche musicales du XIXe siècle. Ce Week-end romantique commence en 1770 avec la naissance de Beethoven et se conclura en 2006 avec la disparition de Ligeti : c’est dire l’exploration méthodique du sujet, chacun des huit rendez-vous de ces deux jours vérifiant une thématique précise. On retrouve Hélène Pierrakos dans des avant-propos fort renseignés et souvent sensibles [lire notre critique de l’ouvrage L’ardeur et la mélancolie].

Nous rejoignons le public de ces journées parisiennes ô combien ensoleillées pour le deuxième programme, Le romantisme allemand, consacré au Quintette pour piano et cordes en fa mineur Op.34 que Johannes Brahms réécrivit à partir de sa Sonate pour deux pianos. Notamment dans le vaste Finale (Poco sostenuto, Allegro non troppo, Presto, non troppo), on goûte le lyrisme généreux des musiciens – Christophe Guiot et Elisabeth Pallas aux violons, Jean-Michel Lenert à l’alto, Cyrille Lacrouts au violoncelle et Michel Dietlin au piano, tous membres de l’Orchestre de la maison ou, pour les pianistes, chefs de chant, répétiteurs, chef de chœur adjoint, etc.. Au cœur de l’après-midi, Vers le postromantisme interroge la musique de Robert Schumann, compositeur le plus présent lors du week-end, avec sept opus. Misha Cliquennois au cor et Christine Lagniel au piano jouent les rares Adagio und allegro Op.70 de 1849. Le premier fait ensuite place à l’hautbois de Christophe Grindel pour les Drei Romanzen Op.94, éditée en 1851. À l’élégance délicate succèdent une cantilène lumineuse et une ballade discrètement inquiète, au parfum populaire.

Fameux en son temps, comme compositeur fécond et aussi pédagogue très recherché (à Leipzig, alors grand centre musical européen, avec Vienne), Carl Reinecke (1824-1910) n’a guère été gâté par la postérité, de sorte que l’on doit à la saine curiosité des instrumentistes et à des programmations hors format comme celles-ci de pouvoir le redécouvrir. Ainsi de l’étonnant Trio pour hautbois, cor et piano Op.188 de 1886 dont on goûte ici la gracieuse virevolte de l’Allegro moderato. Après un Adagio en manière d’hymne heureux, assez séduisant, le ton gentiment facétieux du Finale (Allegro ma non troppo) surprend.

Surnommé Frühlingssextett, le Sextuor en si bémol majeur Op.18 n°1 de Johannes Brahms (1860) ouvre le parcours dominical, avec son irrésistible Allegro ma non troppo somptueusement interprété par Karin Ato et Cécile Tête (violons), Grégoire Vecchioni et Helga Gudmundsottir (altos), Jean Ferry et Clara Strauss (violoncelles) – le chant du premier alto (Vecchioni) donne littéralement le frisson. On le retrouve avec avantages dans le célèbre Andante ma moderato qui gagne aujourd’hui des demi-teintes précieuses, au fil des ses variations à la fougue volontiers houleuse. Inspirée de Beethoven, la grâce frémissante du Scherzo (Allegro molto) développe une chaloupe inventive à l’inflexion dansée. Les cordes en majesté se poursuit avec l’Octuor à cordes en mi bémol majeur Op.20 écrit par Felix Mendelssohn en 1925, à l’âge de seize ans. Les violons de Jean-Christophe Grall et Clément Berlioz gagnent la scène, le formidable bruissement de l’Allegro moderato s’élève dans une fraîcheur indicible. Après ce flamboiement, la mélancolie profonde de l’Andante opère dans une aérienne (et paradoxale) densité. La gracilité du Scherzo chasse chagrine humeur. Le vrombissant Presto bénéficie cependant de moins de soin, ce qui pondère notre ressenti, jusque-là plutôt enthousiaste.

Chant d’amour et de nostalgie, sixième des rendez-vous à l’Amphithéâtre, requiert quelques voix issues du Chœur de l’Opéra national de Paris. Nous entendons tour à tour Trois quatuors vocaux Op.64 avec Alessandro Di Stefano au clavier, deux des quatre Duos Op.28 (Die meere pour soprano et mezzo-soprano, puis Der Jäger und sein Liebchen pour mezzo’ et baryton), enfin les Liebeslieder Op.64 (premier des deux recueils conçus entre 1869 et 1874), pour lesquels Sandra Westphal ajoute deux autres mains dans la mâchoire du « grand crocodile de concert ».

Enfin, le pénultième moment s’attache à sa figure tutélaire de ce week-end, avec Schumann, l‘essence du romantisme. Tatjana Uhde (violoncelle) et Florence Boissolle (piano) nous font voyager vers l’hiver 1848-49 avec les Fünf Stücke im Volkston Op.102. Bien qu’écrites dans une exigence technique indéniable, ces pièces étaient destinées à des musiciens amateurs. Vanitas Vanitatum appuie un pas robuste qui s’obstine. Indiquée Mit Humor, la deuxième page chante en majeur une mélopée triste sur un bourdon presque simplet – sans doute est-ce de ce naïf kitsch allemand moqué par Alfred Döblin soixante ans plus tard que sourit le compositeur. Après un Langsam tournoyant, Nicht schnell, mit viel Ton zu spielen (Pas vite, avec beaucoup de son) s’envole dans un lyrisme échevelé. Le dernier épisode fronce les sourcils dans une danse de caractère qui répond le plus évidemment au titre. Deux ans plus tard, Schumann signait quatre contes de fées pour un ami altiste de Düsseldorf qui les créerait avec Clara à l’automne 1853. Nous entendons ces délicieux Märchenbilder Op.113 sous l’archet de Thibault Vieux. La plénitude du chant des n°1 et n°4 se répondent avec une tendresse inouïe.

BB