Chroniques

par bertrand bolognesi

week-end Xenakis – premier épisode
récital Stephanos Thomopoulos

Cité de la musique, Paris
- 17 mars 2022
le pianiste Stephanos Thomopoulos joue Xenakis et Debussy à Paris
© carlotta forsberg

Le 29 mai prochain sera marqué par le centenaire de la naissance d’Iannis Xenakis, qui nous quittait en 2001. À cette occasion, la Philharmonie de Paris présente l’exposition Révolutions Xenakis, depuis le 10 février, et offre la possibilité d’entendre plusieurs opus du compositeur lors d’un Week-end Xenakis, ouvert ce soir en l’Amphithéâtre du Musée de la musique par un récital de Stephanos Thomopoulos. Actuellement professeur et coordinateur du département de piano du CRR de Nice, le musicien grec, outre se produire dans de nombreux festivals et concerts, a si grandement investi l’œuvre de Xenakis par un travail de recherche qu’il rédigea la préface de la réédition de son corpus pianistique (Salabert) et prononça plusieurs conférences à propos d’un créateur dont trois pages sont ici mises en regard avec Claude Debussy.

Ce premier rendez-vous de l’événement débute par les trois premiers Préludes du Livre I. L’inflexion choisie pour Danseuses de Delphes marie une vastitude évidente à une ciselure infiniment précise, l’écoute soigneuse des résonnances autorisant l’idéal fantasmatique de Debussy : une pédalisation grandiloquente mais sans la brume qu’elle induit. Lyrique mais sans emphase, cette écriture d’oxymore que l’auteur rendait active dans son répertoire vocal par des lourés-piqués sous une même liaison d’expression dont il eut le secret, est habilement réalisée par l’artiste. Tissant Voiles dans un velours exquis et cependant nettement défini – paradoxe, toujours –, Thomopoulos n’y laisse jamais trop pointer l’aigu, si détaché qu’il soit du paysage. Malgré un pédalier au mécanisme relativement raide, semble-t-il, le pianiste maîtrise l’impact du Vent dans la plaine, troisième numéro du recueil, ménageant à l’aigu l’éclat qu’on en attend, sans heurt, pourtant, grâce à une vaillance qu’on pourra dire équilibrée.

Sous-titré musique symbolique, Herma de Xenakis (1960-61) fut conçu à la faveur d’une rencontre, celle du pianiste et compositeur Yūji Takahashi auquel serait confiée la création de cette œuvre, en 1962. Une sorte de parenté dans les natures de frappe et des savants effets de pédalisation glisse de Debussy à Herma, par-delà les considérations formelles qui l’ont motivée. L’approche à la fois rigoureuse et jouissive qui en est livrée ce soir bénéficie d’une clarté remarquable, malgré ces nuages indiqués par le musicien pour en désigner les plus véloces cellules. Le souffle et le caprice de Ce qu’a vu le vent d’ouest (I, 7) s’en fait étrangement l’écho, à rebrousse-temps. Et la fantaisie des zéphirs de céder place à La cathédrale engloutie (I, 10), déclamation de cloches immergées. Un pas de plus est fait vers le nébuleux avec Brouillard (II, 1), dans une cohérence programmatique indéniable. C’est par le calcul des probabilités que Xenakis met au monde Mists (1980) – brumes, en langue anglaise – que l’Australien Roger Woodward a créé au printemps 1981, à Édimbourg. Après une complexe errance spiralée, bientôt obsessive, le dernier trait est suspendu par une fin sèche, sans écho, sans appel.

Le voyage dans le Livre II des Préludes se poursuit avec La terrasse des audiences au clair de lune (7) qui, dans un paysage d’abord vaporeux, use de ces sons arrêtés, par-delà l’aura pédalisée. Outre de magnifiquement vérifier l’exigence technique de cette page, le pianiste nous y conte quelque chose qui ne se laisse point saisir. Dans Les tierces alternées (11), la régularité du galop tient lieu de liant ; aussi, sans nulle feinte, l’interprète fait-il sainement confiance au compositeur. Aux mouillures contrastées de Feux d’artifice, qui rejoignent les premiers préludes du Livre I, d’alors envahir les gradins où s’évanouissent les échos vagues de l’hymne belliqueux. « C’est au tour des arborescences de décider de la forme d’Evryali », avance François-Gildas Tual dans la brochure de salle ; « le titre évoque moins le héros de l’Énéide de Virgile que la Gorgone Euryale, ou plus simplement "la mer au large", car la prolifération des lignes est comparable, sur sa projection graphique comme dans sa réalisation sonore, à une chevelure emmêlée ou à des vagues changeantes se rencontrant sans se briser […], en accord avec la nature des ondes » (même source). Dans un pianisme généreux, cet opus de 1973, que Marie-Françoise Bucquet créait à New York l’année même de son achèvement, déploie une énergie impressionnante et vraisemblablement épuisante. On admire la constance de l’engagement total de Stephanos Thomopoulos à le défendre.

BB