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Chroniques
Werther
opéra de Jules Massenet
L’Opéra de Nice ouvre à nouveau ses portes au public avec une nouvelle production de Werther, confiée à Sandra Pocceschi et Giacomo Strada, le duo assurant également la réalisation de la scénographie et des costumes [lire nos chroniques de L’hirondelle inattendue et de Manfred]. Le spectacle apporte de fortes originalités, parfois en décalage assez net avec le livret d’Edouard Blau, Paul Millet et Georges Hartmann, inspiré du roman de Goethe.
L’Ouverture démarre cadre de scène fermé par une toile blanche, écran sur lequel défilent bientôt des peintures d’un morne paysage de poteaux électriques sous un ciel gris, menant à un bâtiment éclairé. Le rideau se lève sur une serre où fleurs et plants de tomates se développent grâce aux bons soins des enfants, sous l’enseignement du Bailli qui leur montre les bons gestes du jardinier. Sophie rempote un petit sapin en tassant la terre (Noël n’est pas loin) et Werther chante Ô nature en trempant ses mains dans l’eau du tonneau, puis dans la terre de la brouette. Le rideau baissé en fin de premier acte permet de rapides changements de décors et montre, en projection, la silhouette de la mère défunte de Charlotte, ombre grandissante qui devient gigantesque derrière Werther. Changement de saison à l’Acte II ; des feuilles mortes gisent au sol et l’on récolte le raisin pour le presser aux pieds. Tel un super-héros, Werther soulève sans difficultés une grosse pierre (présente dans le décor depuis le début), tandis que Charlotte aura, un peu plus tard, le plus grand mal à la déplacer de quelques centimètres.
Un long précipité est marqué entre les Actes II et III, dévoilant, cette fois, une serre partiellement détruite dans ses structures métalliques et enveloppe plastique, mais pas complètement abandonnée. Une boîte éclairée prend place au centre, miniature de la serre du temps de sa splendeur passée, mais les plantes sont mortes tout autour, y compris le sapin totalement desséché. C’est toutefois le quatrième chapitre qui laisse le plus perplexe, en démarrant par l’animation filmée d’un astéroïde en feu traversant l’espace. Comme on pouvait le redouter, celui-ci tombe pile-poil sur la serre, une grosse météorite fumante ayant écrasé le malchanceux Werther – ou bien on peut imaginer que le suicide du héros était calculé avec une précision digne des plus grands astrophysiciens…
Les mesures de distanciation physique imposent, encore à l’heure actuelle, une limite d’une trentaine de musiciens en fosse, ce qui amène certainement un brillant un peu atténué dans les pages les plus romantiques. Il s’agit d’une version réduite de Peter Ekman, qui supprime par ailleurs certains instruments, comme le saxophone alto. Le chef canadien Jacques Lacombe, grand défenseur du répertoire français en général et de Werther en particulier, est cependant un gage de qualité. Au pupitre de l’Orchestre Philharmonique de Nice, sa direction est plutôt classique, sans effets ostentatoires, élégante, attentive et équilibrée vis-à-vis des solistes.
En première dans le rôle-titre, Thomas Bettinger paraît démarrer prudemment en utilisant une voix mixte et une nuance récurrente en mezza voce. L’articulation est claire et le style soigné, mais la projection n’est pas toujours celle attendue, même si le chanteur en est capable comme il le prouve à plusieurs reprises – lors du duo avec Charlotte en fin de premier acte, par exemple, ou lorsqu’il déroule Pourquoi me réveiller, au III. Le ténor français chante en tout cas avec ses moyens et l’intelligence de ne pas les forcer, son état mourant du IV paraissant en adéquation idéale avec le volume retenu [lire nos chroniques des Voyages de Don Quichotte, de Faust et Lucrezia Borgia]. La Charlotte d’Anaïk Morel est enthousiasmante. Elle produit un son bien épanoui dans une élocution tout aussi ciselée. La qualité du timbre est égale sur toute la tessiture et la chanteuse est dotée de réserves de puissance qu’elle utilise à propos, par exemple dans l’air des lettres [lire nos chroniques de Dialogues des carmélites, Die schweigsame Frau, Die Walküre, Carmen et Ariane et Barbe-Bleue]. Werther et Charlotte forment un couple parfaitement crédible visuellement et font vivre des êtres de chair et de sang, animés par le souffle romantique. En Sophie, Jeanne Gérard fait entendre un joli soprano, d’une largeur qui donne l’impression d’un instrument ferme et aguerri, davantage que juvénile. Le baryton Jean-Luc Ballestra complète les rôles principaux, grain très beau et sonore de noble baryton, qui montre cependant ses limites dans les notes les plus aigües. Il compose un inquiétant Albert tout de noir vêtu, un peu le frère de Golaud dans Pelléas et Mélisande, cynique et menaçant [lire nos chroniques de La bohème, La vida breve, Messa di Gloria, Turandot, L'amour des trois oranges, Un ballo in maschera, Yvonne, princesse de Bourgogne, Il prigioniero et Carmen, ainsi que notre entretien avec l’artiste]. Ugo Rabec (le Bailli) développe une voix bien timbrée, d’une puissance modérée [lire nos chroniques des Aveugles, de The Rape of Lucretia, The Rake’s Progress, La fiancée vendue, L'enfant et les sortilèges, Akhmatova, Lulu, Tannhäuser, Rigoletto, Le roi Arthus, Le chalet et La traviata, enfin de Salome à Paris et à Strasbourg]. Thomas Morris (Schmidt) et Laurent Deleuil (Johann) [lire nos chroniques du Messie du peuple chauve et de son récital discographie Le travail du peintre] assurent leurs interventions, les sonorités du premier tirant vers le ténor de caractère.
FJ