Chroniques

par isabelle stibbe

West Side Story | Histoire du Quartier Ouest
comédie musicale de Leonard Bernstein

Théâtre du Châtelet, Paris
- 21 novembre 2007
West Side Story, comédie musicale de Leonard Bernstein
© marie-noëlle robert

Cinquante ans après sa création au Winter Garden de Broadway, comment résonne encore West Side Story ? Avant tout, impossible de voir le spectacle avec des yeux neufs. Depuis la création, le film est passé par là (1961) avec sa cohorte d’Oscars (dix) et ses nombreux airs devenus familiers pour tous. La musique n’a pas vieilli, le mambo est toujours aussi électrique et la patine du temps n’a fait que rendre plus populaires les mélodies I feel pretty, Maria, America, One hand signées du talentueux Leonard Bernstein.

Dans sa trame amoureuse, West Side Story emprunte beaucoup à Roméo et Juliette et c’est le propre des classiques de passer à travers le temps sans en connaître les outrages. Comme les héros shakespeariens, Tony et Maria sont deux adolescents issus de clans ennemis qui vivent un amour contrarié. Avatar moderne du balcon de Vérone, c’est sur un escalier de secours qu’ils scellent leur amour. Et à l’instar de l’œuvre primitive, Tony/Roméo tue Bernardo/Tybalt. Histoire universelle de l’amour et de la folie des hommes, de la peur de l’autre, des haines ancestrales.

Opéra de la jeunesse et de l’amour, West Side Story est aussi celui du rêve américain. C’est peut-être ce qui, cinquante ans après, frappe le plus : la vision d’une Amérique qui faisait encore rêver. Par le truchement d’Anita, jeune immigrée fraîchement débarquée de Porto Rico, éclatent les espoirs d’une population pauvre dans un pays devenu terre promise. Les dialogues percutants d’America en disent long sur l’évolution de cette société où les machines à laver à crédit étaient perçues comme un mieux-être accessible à tous et non comme une dérive du consumérisme à outrance. Les temps ont bien changé.

La version de West Side Story proposée au Châtelet en anglais sous-titrée est présentée comme la version originale de 1957. Si, effectivement, la chorégraphie de Jerome Robbins a été conservée grâce à son ancien assistant Joey McKneely, les décors, costumes et lumières ont été rajeunis. Un peu trop, parfois : ainsi des jeans et blousons des Jets, un peu trop neufs voire clinquants pour des bandes de rue. Le décor, quant à lui, est constitué essentiellement d’un vaste échafaudage mobile qui reproduit les façades des buildings et leurs échelles de secours en acier. Lorsque ce système s’ouvre pour laisser à nu le fond de scène, sont projetées, vertigineuses, des photos en noir et blanc d’immeubles new-yorkais.

Dans cette œuvre ardente où l’adolescence donne à voir ce qu’elle a de vital et de dévorant, les danseurs sont remarquables de puissance, d’énergie, de rythme et de fougue. On regrettera que l’orchestre dirigé par Donald Chan n’ait pas autant d’éclat. Les personnages principaux sont joués en alternance. Dans cette représentation, c’est le couple broadway qui se produit, après la première où chantait le duo lyrique. Tony – Sean Attebury – dispose d’une jolie voix de ténor, mais son allure efflanquée manque un peu de charisme. Face à lui, Maria - Ann McCormack – est touchante dans son éveil à l’amour et ses gestes gauches de jeune fille innocente, même si la voix est un peu serrée. La palme revient à Anita, radieuse Vivian Nixon, dont la voix assurée et le jeu énergique font merveille dans son personnage de jeune femme décidée.

Cette troisième production de la saison du Châtelet montre encore le goût de Jean-Luc Choplin pour le spectacle total et pour des artistes polyvalents qui savent presque autant jouer, danser que chanter. En l’occurrence, le professionnalisme de cette troupe américaine n’appelle que des louanges et, même si la mécanique un peu trop bien réglée de la production empêche parfois de croire tout à fait à l’histoire, West Side Story n’a pas pris une ride. Happy birthday !

IS