Chroniques

par monique parmentier

William Christie et Les Arts Florissants
Claudio Monteverdi | L’incoronazione di Poppea (version concert)

Salle Pleyel, Paris
- 30 mai 2010
lumineux William Christie pour L'incoronazione di Poppea à Pleyel (Paris)
© denis rouvre

Aucune production du dernier opéra de Monteverdi ne se ressemble. Comme dans tout opéra baroque, nombreux sont les écueils où viennent se briser les passions humaines. En version de concert, William Christie et Les Arts Florissants présentent leur toute nouvelle lecture du Couronnement de Poppée, découverte en mai par le public du Teatro Real (Madrid).

Si l'on peut regretter de n'avoir pas la chance de voir cette mise en scène qui, à l'aune des critiques qu’elle suscita, semble particulièrement réussie, la « mise en geste » pleine d'humour et d'inventivité reste un des premiers bonheurs de cette soirée. Une ambiance survoltée et généreuse émane de la prestigieuse distribution réunie par Christie. Ce dernier se prête d’ailleurs à quelques facéties, dont son entrée en scène accompagné de deux gardes du corps en costume et lunettes noires (les deux soldats qui offriront plus tard un duo drôle et complice).

De cet ouvrage qui relate les amours adultères de l'empereur Néron et de la courtisane Poppée, l'amoralité fait la modernité. Alors que Venise amorce son déclin, Monteverdi crée un univers où la perversité des personnages s'annihile dans sa musique. Tout y semble si évident que l'on croit difficilement que plusieurs mains ont contribué à un chef-d'œuvre aussi harmonieux. Reconnaissons que les artistes ici réunis en offrent une interprétation parmi les plus passionnantes de ces dernières années.

Occupant la scène en deux groupes distincts d'une petite vingtaine de musiciens, Les Arts Florissants arborent des couleurs subtiles ou violentes qui soulignent les affects. De la colère démentielle de Néron et impérieuse d'Octavie à la clarté tendre de l'amour de Drusilla, comme au cœur meurtrie d'Othon, répondent le régale qui flagelle la rage de la démence ou la harpe et les violons qui séduisent ou pleurent, tandis que les flûtes chantent le bonheur et que cornets et basson soulignent la noblesse. Du clavecin et du régale, le chef veille à garder le lien entre les musiciens plus qu'il ne les ne dirige. Installé au cœur d'un des deux orchestres, il est attentif aux chanteurs par une conduite discrète et très précise.

La distribution est homogène, virtuose et sensible. Dans le rôle de Poppée, Danielle de Niese est sensuelle et provocante, tandis que Néron est servi à merveille par le timbre à la séduction perverse de Philippe Jaroussky. Si leur couple ne fonctionne pas, c'est justement parce qu'ils ne sont pas un couple, mais deux enfants arrogants jusqu'à la folie. Face à eux, l'Octavie d'Anna Bonitatibus est impérieuse. Le timbre sombre souligne la détermination et la fierté bafouée du personnage, de même que son phrasé, toujours d'une grande noblesse.

Quant à lu, Max Emanuel Cenčić livre un Othon au timbre tendre et au legato poignant qui laissent apparaître les failles d'un guerrier brisé par l'amour. Avec la Drusilla lumineuse d'Ana Quintans, il formera pour finir un « vrai » couple. Le timbre clair et frais de cette dernière est un rayon de soleil qui semble pouvoir enflammer et rendre la vie à celui qui l'a d'abord utilisée. Le reste de la distribution est tout aussi éblouissant. Plus récitant que chantant, le Sénèque d'Antonio Abete impressionne, tandis que ses familiers, dans « Non morir, Seneca no », sont bouleversants dans leurs suppliques. Claire Debono, au timbre corsé et séduisant, apporte à ses trois personnages une énergie galvanisante. On retiendra également dans le rôle de Damigella une Katherine Watson insolente qui construit avec le Valet de Suzana Ograjenšek un irrésistible instant de badinage. Les deux nourrices d'Octavie (le contre-ténor José Lemos) et de Poppée (le ténor Robert Burt) sont caractérisées avec verve et humour. Pour sa part, le Lucain de Mathias Vidal formant avec Néron le couple le plus sensuel dans le duo Hor che Seneca è morto.

Enfin, n’oublions pas celui (ou plutôt celle) par qui le malheur arrive (car il est aveugle) : l'Amour ! Hanna Bayodi-Hirt l'interprète avec une réelle véhémence. La grande élégance et la complicité de tous, chanteurs et musiciens, rendent cette soirée inoubliable. Dans final Pur ti miro, Jaroussky et de Niese font miroiter les facettes troubles et inquiétantes de la folie qui anime ces amants.

MP