Chroniques

par françois cavaillès

Wolfgang Amadeus Mozart | Messe en ut mineur K 427
Edward Grint, Deepa Johnny, Marie Lys et Mark Milhofer

Chœur et Orchestre Philharmonique de Radio France, Leonardo García Alarcón
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 10 décembre 2023
Leonardo García Alarcón joue Mozart à l'Auditorium de Radio France
© bertrand pichène

Étouffée pendant près d’une décennie (entre 1772 et 1781) au service de l’archevêque Colloredo, la créativité de Mozart quitte le pas de promenade et Salzbourg pour reprendre de l’allure du côté de Vienne. Les impératifs du jeune fiancé de Constanze, logé chez les humbles Weber, le disputent aux contrats peu juteux des marchands de sonates, variations, leçons et autres concerts au sein du Clavierland viennois. Après le mariage en 1782, et avant que les affaires tournent décidément mal, s’ouvre la saison de l’amour mûr mais encore jeune, avec la célèbre Grande Messe en ut mineur créée à l’automne 1783 en l’Église Saint-Pierre de Salzbourg... et inachevée, comme la plupart des pièces dédiées à l’épouse qui, selon Nannerl, sœur aînée de Wolfgang, en assura le solo.

Aujourd’hui, l’œuvre semble taillée sur mesure pour les moyens de nos formations radiophoniques. À pas feutrés, le Kyrie vient en douceur emplir l’auditorium et, à la chaleur des cuivres, le Chœur de Radio France se pose comme une plume. L’effet en est déjà fascinant. Puis l’introduction semble marquée d’accents fantastiques, sous la braguette vigoureuse de Leonardo García Alarcón [photo]. L’entrée du soprano cristallin de Marie Lys [lire nos chroniques de Lotario, La Cenerentola à Genève, Alcina et Werther], gourmand aux premières vocalises, s’accompagne du délicat bercement des cordes. Avec quels appas est orné le félin Christe eleison ! L’extraordinaire masse chorale jointe ensuite aux éclats cuivrés, la sage reprise du Kyrie paraît comme essoufflée, mais d’autant mieux, jusqu’au long accord final de l’orgue.

La deuxième partie, Gloria, amorcée par le ténor Mark Milhofer [lire nos chroniques de La Cenerentola à Angers, Tito Manlio, Neues vom Tage, La Calisto, Punch and Judy, Schneewittchen, Der Besuch der alten Dame, Il palazzo incantato, Acis and Galatea et Il ritorno d’Ulisse in patria], se présente comme une invocation reprise en furie, avant un dynamique et tonitruant tutti. Au calme message de paix sur la Terre – « in terra pax hominibus bonae voluntatis » –, le chœur se montre souverain, sous la ponctuation forte et exacte de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. La sonorité claire des violons, à la fois piquants et discrets, précède l’impressionnante cadence qui termine le retour de l’hymne. Doté d’un prélude d’une belle énergie, Laudamus te, gorgé de louanges d’un lyrisme fondant, fait redécouvrir l’aisance studieuse du jeune mezzo-soprano Deepa Johnny, en particulier dans les vocalises [lire notre chronique de Carmen]. Le plaisir général est heurté par le grave choral conséquent (Gratias), avant le lumineux duo des solistes soprani (Domine Deus), ondulante musique à la fin abrupte, puis le pathétique Quo Tollis embrasé et rugissant, porté par une force vocale surnaturelle.

Le ténor s’ajoute à l’irradiant tableau opératique et baroque. Les fugues ardues en sont fort appréciables en leur puissance tellurique, grâce à la conjonction de merveilles d’interprétation et d’orchestration. À son tour enfin, le baryton-basse Edward Grint est mis en valeur dans le Credo, d’abord guilleret, puis d’une passion claire et enflammée. Très expansifs, chanteurs et musiciens livrent le lyrisme humaniste propre à Mozart. Lentement, à l’avancée lancinante, c’est l’ambiance d’un rêve que recèle le prélude d’Et incarnatus est (dédié à Constanze). À nouveau, l’entrée du soprano est parfaite, puis très ferme, magnifiée par le splendide écrin orchestral (flûte et clarinette à leur meilleur). Le charme irrésistible est traversé de difficiles vocalises. Passé le martial Sanctus allègrement fugué, le Benedictus final s’apparente à un quatuor claironnant jusqu’à la formidable liesse de clôture, ultime chant qui ferait croire à une apothéose expresse, un aller simple éclair, une miséricorde instantanée...

Ainsi écrite d’un seul jet, la déclaration de foi de Mozart peut se lire de manières ambivalentes : comme une promesse ou un espoir, comme un appel du divin, ou encore une fuite en avant, comme l’abandon lucide au plaisir de l’instant, pour le nouvel époux ou l’amant de toujours de la musique.

FC