Chroniques

par bertrand bolognesi

Xavier Sabata, Capella Cracoviensis, Jan Tomasz Adamus
Bononcini, Graun, Händel, Leo, Mancini, Pescetti, Steffani, Vinci, etc.

Festival Castell Peralada / Església del Carme
- 7 août 2016
Alexandre le Grand, somptueux récital du contre-ténor Xavier Sabata
© joan castro-icona

Deux ans après le grand succès qu’il y avait rencontré, Xavier Sabata retrouve le Festival Castell Peralada où donner un programme digne du trentième anniversaire de la manifestation [lire notre chronique du 25 juillet 2014]. Ainsi cette soirée se place-t-elle sous le signe d’Alexandre le Grand, figure historique dont le monde baroque s’est volontiers emparé. À la tête de la Capella Cracoviensis dont il est le chef depuis huit ans, Jan Tomasz Adamus ouvre depuis son clavecin la fête avec la sinfonia de La superbia d’Alessandro d’Alessandro Steffani (1690), flattée par l’acoustique de l’Església del Carme. Le prélude Presto d’Abdolomino de Giovanni Battista Bononcini (1711) accuse le défaut de sa qualité : à moins de dix instrumentistes, l’on peut ici se faire entendre comme à bien plus, à charge de noyer l’articulation quand plus rapide est le tempo. Après ces pages brèves, les musiciens polonais ont pris leurs marques.

Le contre-ténor entre avec deux arie extraites d’Euleo festeggiante nel ritorno d’Alessandro Magno dell’India (1699) du compositeur émilien. Lui aussi semble mal assuré sur la première, Da tuoi lumi fulminato, tandis que Chiare faci al di cui lume, sensiblement introduite par Agnieszka Oszańca au violoncelle, bénéficie des belles qualités expressives qu’on connaît au chanteur. Dans les variations, l’ornementation ne déroge pas à un legato saisissant. Après l’incursion d’un tutti plus chaleureux, la nudité recouvrée de la dernière section laisse l’auditoire sous le charme.

La suite de la première partie du récital est consacrée à Francesco Mancini, prolifique Napolitain à qui l’on doit le dramma per musica de 1706, Alessandro il grande in Sidone dont nous goûtons la Sinfonia délicate, donnée d’un son soigneusement serti afin qu’il ne se perde pas sous la voûte. Même l’Allegrissimo initial est probant, outre la gentille virevolte de l’Allegro, avec au cœur un Larghetto infiniment nuancé. Incursion à Venise et près de trois décennies plus tard avec Alessandro nelle Indie (1732) de Giovanni Battista Pescetti dont Serbati a grandi imprese montre un Sabata désormais en pleine possession de ses moyens : précision de l’intonation, souffle long, legato nourri, couleur, enfin élasticité de l’émission. L’égalité de l’orchestre magnifie cet air d’une facture cependant assez simple, vaillamment orné dans un da capo sagement tenu. Puis retour à l’opéra de Mancini avec l’hystérique Spirti fieri alla vendetta, vigoureusement contrasté.

Après l’entracte, le menu se maintient dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle, en commençant par la sinfonia d’Alessandro e Poro de Carl Heinrich Graun (1744), Andante méditatif. La scène napolitaine revient avec Alessandro nell’India du Calabrais Leonardo Vinci (1729) et l’aria éponyme de la version Prescetti précise la technique vocale de Xavier Sabata, prudemment à l’écoute de son instrument. Du même temps date Poro d’Händel (1731) dont Se possono tanto due luci vezzose, certes moins périlleux, jouit ce soir d’une interprétation fine à l’inflexion savamment changeante, sans jamais forcer ni détimbrer. Après la sinfonia d’Alexander’s Feast du même Saxon (1736), donnée par la Capella Cracoviensis dans une accentuation quasiment françoise, le tendre Dirti, ben mio, vorrei tiré d’Alessandro in Persia de Leonardo Leo (1741) va son cours le plus souplement qui soit. Encore fallait-il une aria brillante pour conclure le concert : les artistes l’empruntent à l’Alessandro d’Händel (1726). Pour Vano amore, lusinga, diletto, l’agilité manie tour à tour caresse et vindicte – idéal. Xavier Sabata et Jan Tomasz Adamus remercient l’accueil enthousiaste du public par deux bis fort appréciés. Il nous reste à souhaiter que cette nouvelle collaboration donne bientôt naissance à une gravure.

BB