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Chroniques
Zémire et Azor
opéra-comique d’André Grétry
« Il était une fois… »
Comme ces mots résonnent en chacun de nous, rappelant ô combien il est merveilleux de se voir offrir la liberté du rêve ! Le public parisien, que l’on pourrait imaginer blasé, s’est laissé porter par les mots et la musique dans cet univers à la naïveté douce et charmante de l’opéra-comique. Le genre musical, né dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et dont Grétry fit les beaux jours, mélange profane et fantastique. La comédie n’y est jamais farce. À la frontière de la réalité, il invite à pleurer sans verser dans la tragédie, à se laisser ensorceler par des mondes tendres et purs où chacun peut s’identifier facilement aux héros.
Créé en 1771 à Fontainebleau à l’occasion du mariage de Dauphin, futur Louis XVI, avec Marie-Antoinette, Zémire et Azor en est certainement un des modèles les plus touchants. Rencontre fusionnelle de musique vocale et de théâtre, cette œuvre doit son livret à un conte : La Belle et la Bête. Ici, plus de dieux, mais tout de même un monstre et des fées, dans un Orient stylisé. Les drames, la perte de la fortune et la malédiction vont se déjouer dans l’émotion des battements de cœur d’un amour qui triomphe de la peur et des illusions.
Disposant de peu de moyens, la troupe des Lunaisiens, musiciens et chanteurs-acteurs, invitent à découvrir toutes les subtilités d’un onirisme délicat. La mise en scène épurée d’Alexandra Rübner met en valeur l’espace et le verbe. La prononciation restituée n’est jamais appuyée, elle permet simplement d’être à la limite entre un ici contemporain et un ailleurs hors du temps. Les gestes sont danse et vol. Tout est mouvement, les bras et les jambes deviennent tapis-volants, les mains implorent et les courbes qui se dessinent deviennent des ailes ou des nuages qui l’œil emportent au loin. Des projections viennent enrichir la féérie. Les décors simplissimes – quelques cintres, des miroirs, des tabourets et des chandeliers –, les lumières extrêmement inventives de Nathalie Perrier, les costumes colorés et raffinés d’Héloïse Labrande permettent à l’imagination de suivre les voies du rêve.
La distribution est d’une belle homogénéité. Dans les rôles principaux, Arnaud Marzorati (le père angoissé), Camille Poul, (la douce Zémire), Jean-François Novelli (Ali, le serviteur un peu couard et ami fidèle), ainsi que David Ghilardi (Azor, la bête) se jouent avec talent et naturel des passages du parlé au chanté, soulignant toute l’élégance de ce genre musical. Tous font preuve d’un sens de la déclamation qui permet aux notes de s’épanouir avec grâce. Les duos et les ensembles touchent aux larmes, tant les timbres se marient pour mieux souligner les caractères. Les deux méchantes sœurs résument dans des intermèdes ce qui va se jouer – Éléonore Lemaire et Alice Glaie se montrant délicieusement rouées et cruelles.
Quant à lui, l’orchestre s’avère d’une rare justesse, avec neuf musiciens dont les couleurs pastel dessinent des voiles aux couleurs délicates. Les cors et le basson y sont d’une suavité langoureuse, la flûte et le hautbois aussi léger que le chant des oiseaux, le pianoforte frais comme l’onde d’un ruisseau et les cordes aussi violentes et ferme que l’orage ou les sentiments.
Si Zémire et Azor, n’appartient plus au monde baroque qui s’estompe – comme nous le rappelle la rampe de bougies située non en plus en avant-scène, mais à l’arrière –, il n’appartient pas encore tout à fait au monde larmoyant du romantisme. Ainsi, « il était une fois », grâce aux talents des interprètes de ce soir, ouvre les portes d’un monde inconnu et envoutant.
MP