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Chroniques
Zarathoustra Variations
chorégraphie d’Ikeda Carlotta et Murobushi Ko
À l'égard du butō, Carlotta Ikeda se place en position singulière tout en s'inscrivant incontestablement dans cette tradition. En 1974, elle rejoint la compagnie Dairakuda-kan, puis crée Ariadone avec Ko Murobushi – la spécificité de cette équipe étant de n'être composée que de femmes. Carlotta Ikeda explique ce parti pris par « la perte de liberté que génère le rapport scénique au corps masculin ». Son travail chorégraphique procède toujours des principes du butō, revendiquant ainsi une origine immanente de sa danse et une prédominance de l'intériorité telle l'expérience du vieillissement du corps. De même, son écriture conserve bon nombre des gestes classiques du butō d’Hijikata : une position tellurique avec un centre de gravité placé très bas chez le danseur, la négation de certaines articulations, une raideur des membres saisissante et un retour permanent vers la prostration, sans oublier l'élément le plus caractéristique, ce corps blanchi des danseurs dont les adeptes les plus caractéristiques sont le groupe des Sankai Juku.
Carlotta Ikeda ne renie pas ces héritages, ayant participé à leur fondation, et assure le sens de la « danse des ténèbres » du mot butō, mais ceci n'a pas trop de sens pour elle et, de ce fait, la danseuse préfère explorer d'autres voies dans lesquelles humour et dérision sont omniprésents, comme dans Zarathoustra Variations. Cette pièce magnifique, déroutante, vous emmène et vous enlace dans l'envoûtante farandole de ces femmes, tout à la fois hyènes jalouses, furies rampantes, hurlantes et névrotiques dont les secousses épileptiques martèlent le sol. Réveillées de leur cauchemar, elles se propulsent en larges courbes hystériques à travers l'espace pour vous surprendre dans l'horreur d'un cannibalisme frénétique voulant se justifier au final par une joyeuse samba des plus problématiques.
Difficile de comprendre ce qui se passe entre les différents souffles de ce récit par moments si gracieux et si lents que le spectateur retient sa respiration pour ne pas troubler ce qui ressort de cette intériorité livrée sans pudeur, la vague volontairement obscène qui suit dévastant le plateau d'une putride odeur d'enfer. Étrange spectacle empreint de soufre, d'une beauté subtile, perverse ; séduction de ce sable fin envahissant le sol et l'air d'un souffle salvateur, apaisant la furie de ces six corps fatigués et farinés. Une question se pose : le butō est-il un mouvement artistique fixé dans une époque ou un état d'esprit ? Cette énergie est-t-elle transmissible au delà de la génération qui l'a fait naître ? Aujourd'hui, Ikeda laisse la place à ses interprètes ; sa transmission passe notamment par Anne Ventura qui a interprété au Café de la danse, dans ce même cadre du festival Faits d'hiver, Corps de craie écrit pour elle.
FC