Recherche
Chroniques
Zoraida di Granata | Zoraïde de Grenade
melodramma eroico de Gaetano Donizetti
Si le Festival Donizetti Opera de Bergame est en première ligne pour la redécouverte des soixante-quinze ouvrages lyriques du compositeur natif de la ville, le Wexford Festival Opera (WFO) n’est pas en reste avec seize titres proposés jusqu’à maintenant, depuis L’elisir d’amore en 1952 jusqu’à la dernière Maria di Rudenz en 2016. Et les deux manifestations ont justement décidé de monter en coproduction la rare Zoraida di Granata, spectacle programmé lors de l’édition 2024 de la manifestation bergamasque. Avec une différence tout de même, puisque si le WFO propose la version originale de l’ouvrage, composée en 1822 pour le Teatro Argentina de Rome avec un ténor dans le rôle d’Abenamet – pour la création, un contralto prit cependant la place du ténor, mort soudainement –, le festival lombard met à son affiche la version révisée de 1824, avec cette fois un contralto prévu dès le départ dans ce rôle. La discographie disponible à ce jour se concentre sur un enregistrement de studio du bien nommé label Opera Rara, en version de 1822, avec Bruce Ford (Almuzir), Majella Cullagh (Zoraida), Paul Austin Kelly (Abenamet), le coffret étant enrichi de quelques extraits de la version de 1824.
En premier lieu, c’est le chant que convoque habituellement le répertoire donizettien, un bel canto que les amateurs recherchent en priorité mais dont les oreilles ne sont pas réellement charmées par cette représentation. Comme évoqué plus haut, l’opus requiert trois interprètes principaux qui ont fort à faire avec les redoutables difficultés de la partition. Le soprano Claudia Boyle ne démérite pas en Zoraida, avec à son actif un engagement visible et une musicalité certaine [lire nos chroniques de The pirates of Penzance et d’A quiet place]. Elle rencontre toutefois de petits temps faibles, son agilité n’étant pas à toute épreuve : certaines vocalises sont émises dans un moindre volume, comme si l’attention portée à la difficulté technique consommait les ressources de la chanteuse, la présence d’un accent anglo-saxon retirant au personnage une partie de son italianità.
En Almuzir, le méchant de l’histoire, amoureux de Zoraida mais non payé en retour et prêt à supprimer son rival Abenamet, le ténor Konu Kim dispose d’une voix séparée en deux parties : le registre aigu brille d’un métal projeté avec force qui fait mouche, mais le médium et le grave perdent en stabilité et en puissance, avec parfois de menus problèmes d’intonation pour les nuances piano [lire notre chronique de L’ange de Nisida]. La justesse est encore plus problématique chez l’autre ténor, Matteo Mezzaro, distribué en Abenamet, en particulier lors des passages d’agilité. À l’opposé de son confrère, le registre grave est assuré, mais l’instrument a tendance à se resserrer pour une émission dans le masque lorsqu’il gravit les notes aigües de sa partie [lire nos chroniques de Madame Sans-Gêne, Macbet, Enrico di Borgogna et Les vêpres siciliennes]. Les trois autres rôles sont très correctement pourvus, à commencer par l’autre soprano, Rachel Croash en Ines, voix d’une égale qualité sur toute la tessiture et d’une émission vaillante. On apprécie le baryton Matteo Guerzè dans le rôle d’Ali, bras droit d’Almuzir, donc autre méchant de l’intrigue, le chanteur faisant valoir un timbre ferme et d’une belle noblesse, tandis que le troisième ténor, Julian Henao Gonzales [lire notre chronique d’Otello], complète avantageusement en Almanzor, ami d’Abenamet.
La direction musicale de Diego Ceretta est vivante et varie au mieux tempi et nuances. Composée par un Donizetti de vingt-quatre ans, l’œuvre dévoile régulièrement des sonorités et constructions rossiniennes, en particulier au cours de certaines arie en plusieurs sections, destinées aux trois titulaires principaux, avec vocalises et grands sauts d’intervalle. L’orchestre montre une bonne forme, ainsi que le Chœur masculin, même s’il est réduit à douze chanteurs, ce qui en limite un peu l’ampleur.
La mise en scène de Bruno Ravella ne déclenche pas d’enthousiasme immodéré [lire nos chroniques de Gianni Schicchi et de Falstaff]. Elle est située dans un palais ou une église en temps de guerre, bâtiment en bonne partie détruit où subsistent quelques arcades et les débris de vitraux sur une structure métallique suspendue aux cintres. Pendant l’Ouverture, le cruel Almuzir tue deux hommes à bout portant, puis des soldats marchent dans les décombres. Le spectacle ne déborde pas de mouvement ni d’animation, avec des protagonistes particulièrement statiques qui se donnent la réplique. En fin de second acte, Zoraida est enchaînée à un pilier et l’on arrose de carburant les branches qui feront office de bûcher. La flamme s’approche, mais le son d’une trompette interrompt l’entreprise, tandis qu’une partie du public rit de bon cœur à la conclusion de cette pièce à sauvetage. Mêmes rires quand le terrible Almuzir retrouve une soudaine humanité et se transforme en gentil, acceptant finalement l’heureuse destinée du couple. Quelques huées aussi aux saluts, plus problématiques cette fois, adressées au méchant Ali [lire notre chronique de la veille] – vraisemblablement le meilleur chanteur de la soirée.
IF