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Chroniques
Zoroastre
tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau
Créée le 5 décembre 1749 à l'Académie Royale de Musique, l'avant-dernière tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, écrite sur un livret de Louis de Cahusac, reprend la matière musicale de Samson qui, subissant le contrecoup de la cabale voltairienne, n'avait pas été retenu dix-sept ans plus tôt. Convoquant initialement une distribution copieuse, cet opéra-machine fut révisé sept ans plus tard, l'auteur renonçant à plusieurs personnages secondaires et inventant deux nouveaux rôles plus conséquents. Il contracte également son ouvrage en trois actes, à partir des cinq que comptait la version initiale. Pour la série de représentations proposée par le charmant Théâtre du Château de Drottningholm, les maîtres d'œuvres semblent avoir opté pour un spectacle en cinq actes où évoluent les personnages de la mouture de 1756. Ce choix induit une plus grande cohérence dramaturgique tout en respectant une unité conforme au modèle de la tragédie lyrique selon Rameau lui-même.
Depuis quelques années déjà, le metteur en scène Pierre Audi s’adonne à un travail de grande qualité, en collaboration avec Christophe Rousset. Si l'on put apprécier un délicieux et sensible Matrimonio segreto (Cimarosa) au Théâtre des Champs-Élysées (2002), le tandem présentait ici même, il y a trois ans, un Tamerlano exceptionnel, suivi en 2003 d'une Alcina de haut vol. C'est avec plaisir que l'on retrouve cette équipe qui signe aujourd'hui un passionnant Zoroastre reposant sur une direction d'acteurs précise – qui construit chaque personnage, habite une déambulation de plateau toujours justifiée, les intentions dramatiques venant minutieusement dessiner chaque geste : il est si rare d'avoir à l'opéra le sentiment d'être au théâtre ! –, un sens de l'espace jamais pris en faute, dans un lieu qui ne pardonne aucune erreur.
Car il est fort différent de monter un ouvrage sur la scène d'une grande maison et sur celle de ce théâtre baroque, désormais unique en son genre, qui impose de respecter certaines contraintes si l'on veut s'assurer d'un résultat équilibré et lisible. Le travail de la lumière, notamment, n'est pas simple, ici. On saluera l'efficacité et l'invention de Pierre Audi : s'il s'en faudrait de peu pour que l'ouvrage sombre dans une relative confusion, la réalisation qu'il livre en révèle la clarté autant qu'elle en crédibilise la fantaisie.
Au pupitre, le chef français engage dès les premières mesures une lecture tendue, pour ne pas dire « électrique », dans un grand soin du relief, grâce à une véritable conduite des timbres et un art indéniable de la nuance. Suivant pas à pas l'évolution d'une intrigue terrible à plus d'un titre, il ne force jamais le trait, s'évertuant à magnifier la scène par une distanciation salutaire dont le parcours élève l'imagination du spectateur jusqu'à faire naître en lui une émotion d'une mesure inhabituelle, qu'on pourrait peut-être dire purement esthétique. Secondé avec une judicieuse parcimonie d'effets par la chorégraphie pleine d'esprit d'Amir Hosseinpour, Christophe Rousset signe, à la tête du Drottningholmsteaterns Orkester, une interprétation remarquable.
Le plateau vocal n'est pas en reste et s'ingénie avec succès à incarner les différents rôles, ce qui n'est pas sa moindre vertu. Ainsi, Markus Scwartz s'avère-t-il un Narbanor présent qui, ne se contentant pas d'être généreusement sonore, nuance délicatement son chant. Ditte Andersen est une Céphie attachante à l'aigu agile, mais dont le médium manque de souplesse et le grave reste trop confidentiel. Oromasès est somptueusement servi par Gérard Théruel avec une grande intelligence du texte, un vrai sens de la déclamation et un phrasé parfait. Si l'Amélite de Sine Bundgaard met du temps à se libérer, ce n'est que pour mieux briller au fur et à mesure de la représentation, tant par sa présence que par son chant. À plusieurs reprises, nous avons eu à commenter les prestations du baryton-basse Evgueni Alexiev, et si nous devons reconnaître n'avoir pas toujours eu des propos d'une grande tendresse à leur égard (Arianna in Creta, La vedova scaltra, etc.), c'est avec joie que nous ferons l'éloge de son Abramane au timbre coloré, se distinguant par l'effort d'une diction intelligible et d'un chant irréprochable à l'émission légère, n'appuyant jamais le grave, qui plus est nuancé, tant musicalement que théâtralement.
Mark Padmore était annoncé, mais c'est finalement le jeune Anders Jerker Dahlin [voir nos chroniques du 2 janvier 2004 et du 19 mai 2005] qui incarne le rôle-titre avec une appréciable souplesse vocale et un timbre d'une belle clarté, tandis qu'Anna Maria Panzarella trouve en Érinice un personnage à la mesure de son immense talent : la voix paraît facile, le timbre est riche, le jeu aiguisé par d'innombrables ressources expressives, de sorte qu'elle convoque l'affect d'un public passionné jusqu'à la plus étonnante participation émotive.
On se prend aisément à rêver d'une reprise de cet excellent Zoroastre sur une scène française… Pourtant, c'est à Amsterdam que le passionné devra se rendre (du 21 octobre au 9 novembre) s'il souhaite découvrir les Tamerlano et Alcina de Händel évoqués plus haut (par Les Talens Lyriques). Plus qu'une information, c'est un bienveillant conseil que nous nous permettons de lui donner.
BB