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Chroniques
Иоланта | Iolanta
opéra de Piotr Tchaïkovski (version de concert)
« Iolanta fut commencé le 10 juin 1891 et terminé le 25 novembre de la même année dans le domaine de Maïdonovo [et] fut donné pour la première fois au Théâtre Mariinski le 6 décembre 1892. […] Iolanta fut le dernier opéra de Tchaïkovski, après lequel il n’écrivit que la Symphonie Pathétique […]. Tout le monde attendait la symphonie avec une curiosité avide. À la répétition, les opinions furent très partagées : la jeunesse préférait la première partie, sauf le détestable thème central ; en revanche, les autres auditeurs, en entendant ce thème central, hurlaient « troubadour éternel ! ». Le succès de ce concert fut naturellement renversant, et à ce moment-là personne ne pouvait songer qu’une semaine plus tard, Tchaïkovski ne serait plus », conte Sergueï Diaghilev dans ses mémoires (Ed. Hermann, 2007). Pour s’intituler Iolanta de Tchaïkovski, son article traite plus de l’aréopage mondain de la première puis des circonstances de la mort du compositeur que de l’opéra lui-même. Qu’en fut-il vraiment de la fortune de l’œuvre ? Comment son auteur le considérait-il lui-même ? Et comment « voir » cette histoire d’un amour prodiguant la lumière à une aveugle, tandis que croît la rumeur d’un Tchaïkovski amoureux ?...
Il n’est guère donné d’y penser trop souvent, vue la rareté de l’ouvrage au concert et plus encore à la scène. Ainsi se souvient-on de deux versions qui permirent d’aborder Iolanta, tandis que nos théâtres n’en ont affiché récemment qu’une production scénique [lire notre chronique du 28 mars 2010] et que l’Opéra national de Lorraine annonce la prochaine pour avril. Pas de quoi créer une véritable proximité avec cet opus, donc. C’est aussi que cet acte unique demande à nos créateurs de mondes de croire aux miracles sans en inventer, si l’on peut dire, plus précisément de se fier au texte et à la partition sans se poser d’autres questions que de diriger théâtralement des caractères ; encore n’est-il pas si simple d’être simple : voilà une figure d’adage que n’aurait certes pas reniée certain grand homme (alors trentenaire) du théâtre russe… À goûter des versions de concert [lire nos chronique du 30 mars 2003 et du 11 mai 2007], l’on put forger l’opinion que Iolanta demande une direction d’acteurs au cordeau, sans extravagance aucune, dans un décor enchanteur qui traduise le jardin quasi féérique dont le texte fait régulièrement mention ; rien de moins et, surtout, rien de plus. Aussi ne s’agit-il pas vraiment de ce qu’on pourrait appeler un ouvrage flatteur, si ce n’est « payant », pour les metteurs en scène dont bon nombre s’ingénient surtout à leurs « idées » plutôt qu’à celles des compositeurs – nous espérons, bien sûr, voir bientôt la maison nancéienne contredire cet avis.
Une fois n’est pas coutume : c’est à écouter une œuvre dans son intégralité plutôt qu’à folâtrer d’aria en arie que Les Grandes Voix nous invitent. Avec le plateau vocal ici réuni, cette Iolanta absorbe bientôt le public dans une écoute des plus concentrées. Au pupitre de l’Orchestre de la Philharmonie Slovène, Emmanuel Villaume signe une lecture finement ciselée, soigneuse de chaque détail, autant que passionnément investie dans le drame. Sa direction, au service de la partition comme à celui des voix, fait apprécier l’extrême maîtrise d’écriture de Tchaïkovski comme son enthousiasme émotionnel. Préparé par Martina Batic, le Chœur de chambre slovène s’affirme d’une efficace musicalité.
« Grandes voix », disions-nous… La basse Luka Debevec Mayer campe un Bertrand d’autoritaire stature vocale, fermement timbré et généreusement projeté, le jeune mezzo-soprano Nuska Rojko donne une Laura présente d’un timbre chaleureux, tandis que l’alto Monika Bohinec est une nounou (Marta) au chant évident. Quoique n’étant certainement pas ce qu’on appelle une « petite voix », le baryton nord-américain Lucas Meachem déçoit dans son incarnation du jovial Robert de Bourgogne : à vouloir trop en faire dans un rôle finalement court, l’artiste use d’effets superfétatoires assez malvenus – celui consistant à « truquer » l’émission en début de note pour en gonfler la tenue, « draguant » ainsi l’écoute, n’est pas du meilleur goût (un emprunt à quelque vieille gloire russe mâtinant son art de ces piètres ruses, peut-être ?...). Un rien fatigué, Vassili Savenko offre l’avantage d’un Ibn Hakia parfaitement crédible.
Trois chanteurs éblouissent. D’abord les vaillants « rivaux » – n’est-il pas entendu que les réticences du père à renseigner sa fille sur sa cécité symbolisent clairement l’attachement du premier homme d’une jeune femme, forcément opposé à la révélation de l’amoureux, ici celui qui non seulement dit l’infirmité qu’il surpasse, mais encore l’abolit et « donne le jour » ? –, le ténor clair Sergueï Skorokhodov [lire notre chronique du 20 janvier 2008], conjuguant une teinte corsée sur l’ensemble de la tessiture et magnifiant l’aigu de profondes harmoniques barytonante dans la partie de Vaudémont, et l’excellentissime Vitaly Kovaliov, Roi René remarquablement impacté, minutieusement nuancé, doté d’un chant toujours très précis mis au service d’une saine expressivité. Enfin, le rôle-titre est confié au soprano russe Anna Netrebko [photo] : égalité prodigieuse du legato, grande intelligence du texte, facilité de la projection, éventail dynamique indiciblement développé dont use une sensibilité finement cultivée magnifient une voix par nature charismatique, une incarnation qui mène au… miracle, justement ! celui de l’écoute, comme « révélée » elle aussi, chacun de ces artistes habitant son personnage bien au delà de son pupitre. Bref : une Iolanta inoubliable.
BB