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Chroniques
Снегурочка | La fille de neige
opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov
Inspirateur de quelques ouvrages lyriques récents, comme Trois sœurs et La cerisaie [lire nos chroniques du 30 janvier et 24 mars 2012], Anton Tchekhov (1860-1904) est un nom réputé du théâtre russe. Pourtant, il ne fit jamais oublier celui d’Alexandre Ostrovski (1823-1886) qui, loin des comédies de salon en vogue, s’affirme comme son fondateur. Entre 1847 et 1871, ce dernier livre une douzaine de pièces inspirées de la vie des marchands, mettant l’accent sur la corruption financière et l’endoctrinement familial – l’exemple le plus fameux reste L’orage (1859), dont Janáček tirerait l’inestimable Káťa Kabanová (1921) [lire notre critique du DVD]. C’est alors qu’il écrit un conte en vers, à destination d’un spectacle-féérie devant réunir les artistes du Bolchoï à ceux du Maly, privés de leur théâtre en restauration (Moscou). La fille de neige est présenté le 23 mai 1873 avec une musique de scène signée Piotr Tchaïkovski, un compositeur qui s’associait déjà Ostrovski pour son premier opéra, Le voïvode (1869).
Quelques mois plus tôt, le 13 janvier et à Saint-Pétersbourg, on a présenté le premier opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), La Pskovitaine. Suivront La nuit de mai (1880), puis l’adaptation du « conte de printemps » d’Ostrovski avec lequel l’artiste s’enracine un peu plus dans l’univers folklorique, fidèle au nationalisme du Groupe des Cinq. Dans Chronique de ma vie musicale (Fayard, 2008), le musicien et librettiste raconte l’enthousiasme d’esquisser Snegourotchka durant un été dans un authentique village russe, au cœur de la nature (forêt, champs, rivière), partagé entre la cuisson des confitures et l’improvisation sur un vieux « piano en si ». On peut ainsi dater l’écriture de l’œuvre (18 mai-12 août) et son orchestration (7 septembre-26 mars). Comme ses précédents, l’ouvrage est créé au Théâtre Mariinski, le 29 janvier 1882.
Avec un livret traduit par André Markowicz – texte clair sur les relations de chacun avec le Soleil, mais moins sur celle de l’héroïne, rebaptisée Fleur de neige, avec l’amour –, l’ouvrage entre au répertoire de l’Opéra national de Paris. Sa mise en scène est confiée à un habitué de Rimski-Korsakov : Dmitri Tcherniakov [lire nos critiques des DVD La légende de la ville invisible de Kitège et La fiancée du tsar]. Préférant la magie du spectacle à celle du conte, il transpose l’histoire de nos jours, dans une communauté fondée sur un mode de vie archaïque. Les oiseaux du prologue ? Des enfants déguisés dans une salle de répétition. La force de l’Esprit des Bois ? Celle de ses muscles, uniquement. Souvent en baisse, notre intérêt est relancé régulièrement, comme avec la fête païenne de l’Acte III qui libère l’espace de belles isbas encombrantes, et l’inattendu ballet ouvrant le IV. Elena Zaytseva (costumes) et Gleb Filshtinsky (lumières) participent au dépaysement réussi de ce cadre sylvestre.
Par son chant viril et cristallin, le contre-ténor Youri Mynenko (Lel) impressionne autant que dans Rouslan et Lioudmila, dernièrement [lire notre critique du DVD]. Chez les ténors, on apprécie la souple nuance de Maxime Paster (tsar Bérendeï), l’ampleur de Vassili Gorshkov (Bonhomme Bakoula), l’impact de Vassili Efimov (L’Esprit des Bois) et Vincent Morell (Premier Héraut). Côté baryton, la voix large de Thomas Johannes Mayer (Mizguir) met plus de temps à s’épanouir que celles de Julien Joguet (La Chandeleur) et de Pierpaolo Palloni (Second Héraut). Les basses Vladimir Ognovenko (Père Gel) et Franz Hawlata (Bermiata) déçoivent par intermittence.
Soprano juvénile aux attaques franches et sûres, Aida Garifullina séduit dans le rôle-titre. Dans le même registre, Martina Serafin (Koupava) montre une évidence identique, l’expressivité en sus. Elena Manistina (Dame Printemps) offre un mezzo rond et corsé, au legato soutenu. Moins sollicitées, Carole Wilson (Bonne Femme) et Olga Oussova (page du tsar) complètent la distribution féminine. En fosse avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, on retrouve avec plaisir Mikhaïl Tatarnikov qui avait plu dans un excellent triptyque russo-bruxellois [lire notre critique du DVD]. Toujours léger, le chef principal du Théâtre Mikhaïlovski (Saint-Pétersbourg) manque parfois de sensualité pour nous emporter davantage. Enfin, citons des chœurs bien dynamiques qu’on retrouvera sur les ondes de France Musique, le 14 mai prochain.
LB