Chroniques

par laurent bergnach

Édith Canat de Chizy – François Porcile
Maurice Ohana

Fayard (2005) 600 pages
ISBN 2-213-62437-2
Maurice Ohana, par Édith Canat de Chizy et François Porcile

À en croire Édith Canat de Chizy et François Porcile, la première monographie jamais consacrée à Maurice Ohana – parue en langue anglaise, il y a cinq ans – cachait mal ses défauts : informations manquantes, inexactitudes et coquilles parsemaient la thèse universitaire de Caroline Rae. Aujourd’hui, l’ancienne élève devenue compositrice livre, avec ses six cents pages d'une grande clarté, un témoignage passionnant et exhaustif de la vie de ce « moderne archaïque ».

Né en 1913 dans un Maroc sous protectorat français, d'une mère sépharade de très ancienne origine andalouse et d'un père citoyen britannique originaire de Gibraltar, élevé par une nourrice gitane dans un environnement de musique berbère, le jeune Maurice prend conscience très tôt de la richesse des mélanges. Pianiste à ses débuts, il s'oriente vers la composition autour de la trentaine, en particulier grâce à l'étude du contrepoint avec Daniel-Lesur. Viennent ensuite les années de guerre et son engagement dans l'armée britannique durant lequel cinq partitions ne le quittent pas : Prélude à l'après-midi d'un faune, Trois nocturnes (Debussy), Les Tréteaux de Maître Pierre, Concerto pour clavecin (de Falla) et Concerto pour la main gauche (Ravel) – soit trois compositeurs dont il aura souvent rappelé l'influence.

En 1947, avec deux élèves de Daniel-Lesur, il fonde le groupe Zodiaque, qui souhaite un retour aux sources, refusant les carcans du sérialisme autant que ceux du néo-classicisme. Autre date importante, sa découverte des spectacles donnés par l'Opéra de Pékin à Paris, en 1953 : « ce choc a déclenché en moi l'idée que le théâtre pouvait être lié au corps humain, la musique motivée par le geste et que l'acteur devait être à la fois comédien, mime et chanteur, voire même acrobate ». Comme nul autre de sa génération, Ohana a écrit pour le ballet, la radio, le film d'animation, etc., se tournant vers l'ethnomusicologie, les nouveaux acquis de la lutherie (la guitare à dix cordes) ainsi que ceux de l'informatique (initiation à la musique concrète de Pierre Schaeffer). Sa disparition, le 13 novembre 1992, suit de quelques mois celle de Messiaen et de Cage.

Comme si cette chronologie n'était déjà précieuse, les auteurs poursuivent intelligemment leur présentation avec les chapitresterritoires, abécédaire et résonances, qui détaillent certaines facettes du compositeur – le goût pour le clavecin et la percussion, l'aversion pour le bel canto, le travail sur la distanciation théâtrale, le rêve d'anonymat, le désir de contradiction – et donnent la parole à certains proches (Aperghis, Dutilleux, Lejet, etc.).

Avec quelques textes de la main d'Ohana, l'ouvrage se termine par un catalogue de ses œuvres, établi par Canat de Chizy et Porcile en fonction du début de leur mise en chantier, d'où un classement chronologique original dont ils garantissent, autant que faire se peut, l'exactitude. Les informations d'usage sur la date de création, la durée et l'instrumentarium s'accompagnent de commentaires plus destinés à orienter l'écoute qu'à faire figure d'analyse musicologique.

LB