Chroniques

par laurent bergnach

Adam de la Halle
Le jeu de Robin et Marion

1 CD Zig-Zag Territoires (2004)
ZZT 040602
Adam de la Halle | Le jeu de Robin et Marion

L'héritage du Jeu de Robin et Marion doit beaucoup à « la naissance de l'esprit laïque ». Formés dans le sein de l'église, des clercs s'affranchissent alors de celle-ci pour apporter aux institutions et communautés laïques la connaissance savante du monde et la pratique de l'écrit. C'est ainsi qu’est mis sur parchemin des morceaux de culture traditionnelle orale. Adam le Bossu, dit Adam de la Halle, est de ces lettrés : avant de rejoindre la Confrérie des jongleurs d'Arras, il est étudiant à l'abbaye cistercienne de Vaucelles (Cambrai), puis à l'Université de Paris.

Trois manuscrits datant de la première partie du XIVe siècle, aux versions sensiblement différentes, nous ont fait connaître l'existence du Jeu d'Adam de la Halle. La pièce forme un texte de près de huit cent vers, travaillé par un ou plusieurs ménestrels, dont une grande partie est mise en musique. Chanteurs, danseurs, mimes, actes et musiciens, ces ménestrels pouvaient ensuite donner un spectacle qui suivait le canevas de la pastourelle, tout en prenant des libertés avec la mise en scène mais surtout avec le genre abordé. Marion n'est pas la complaisante bergère qu'on croise habituellement dans ce genre de divertissement (« Vraiment, je n'ai jamais joué à ça ! Je suis une pucelle / Foi que je te dois ! ») ; elle résiste au chevalier qui tente de la séduire, quitte à l'enlever. Et comme ses sentiments pour Robin sont les plus forts, le chevalier la libère. Beaucoup de sujets sont abordés derrière cette histoire d'amour qui s'achève sur un festin paysan (ou bergerie) : la confrontation des classes, la présence familière ou inquiétante des animaux, la dévotion et la royauté. La variété de l'expression – danse, chant, dialogues – en fait une œuvre très vivante et attachante.

Emblématique du passage de l'Ars Antiqua à l'Ars Nova, le Jeu de Robin et de Marion, est sans doute composé à Naples vers 1285 – son auteur ayant quitté la cour de Robert II d'Artois pour celle de Charles d'Anjou. L'Ensemble Micrologus en propose une interprétation habitée, qui fait suite à une commande de la Fondation Royaumont. Reprenant les usages de l'époque, les musiciens ont collaboré étroitement avec le metteur en scène, la chorégraphe et l'équipe de jeunes artistes dont nous découvrons ici les voix : celle de Patrizia Bovi (Marion), corsée ; celle fraîche et juvénile d'Olivier Marcaud, en accord avec le personnage de Robin. L'aisance de prononciation d'une langue moyenâgeuse est générale, les scènes de chœur pleines de ferveur, les passages de harpe gothique et d'un luth presque oriental sources de relief et d'étrangeté. On mesure tout ce que la tournée initiale en France, puis en Belgique, en Espagne et en Italie a pu apporter de chair à cet enregistrement.

LB