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Chroniques
Adolphe Adam
Le chalet
Besoin d’un petit remontant lyrique ?... D’une voix de torero, presque aussi bestiale qu’aux fracassants couplets du toréador mais en plus assagie et en plus grave que l’Escamillo de Bizet, se déclame, presque mugissante puis ponctuée de roulades, cette ode à la terre natale regrettée et retrouvée enfin, alors que berce la mélodie de l’orchestre : « auprès d’autres maîtres qu’il nous faut servir, si tes sons champêtres viennent retentir… » Oui, ainsi faut-il reprendre la route familière des vallons de l’Helvétie ! Encore bien connu des conservatoires, l’air provient d’un opéra-comique si rare aujourd’hui qu’il est bienvenu au disque – qui plus est, en intégrale pour la toute première fois, hormis certains dialogues parlés. Voici donc Le chalet (1834) d’Adolphe Adam, servi par les forces de l’Opéra de Toulon.
Dans ce premier triomphe du prolifique Parisien, plus tard l’un des grands noms de l’opéra-comique français à travers l’Europe, il est question de devoir patriotique et de sens de l’humour, des motifs musicaux joyeusement caricaturaux jouant au second degré (yodle, ranz des vaches, etc., aujourd’hui clichés suisses). Sans doute les trouvailles du genre paraissent-elles autant de plaisirs, ressentis au concert il y a quelques années [lire notre chronique du 16 septembre 2016]. Le mérite en revient d’abord aux chanteurs, trois jeunes artistes qui incarnent des personnages comiques très typés, créatures sympathiques à la verve efficace du vaudevilliste Eugène Scribe.
Ainsi de Max, nostalgique officier rentré au bercail, défendu par la noble profondeur d’émission et la ligne claire d’Ugo Rabec, savoureuses, idéal dans le refrain du bivouac qui vante la camaraderie. Brillant interprète [lire nos chroniques des Aveugles, de The rape of Lucretia, The Rake’s Progress, La fiancée vendue, L’enfant et les sortilèges, Mireille, Akhmatova, Tannhäuser, Rigoletto, Le roi Arthus, La traviata, enfin de Salome à Paris et à Strasbourg], il fait directement monter à la tête les rimes saugrenues et irrésistibles qui font les grands jeux de mots, parfois très ornées – « se divertir fut toujours mon principe ; toute est fumée, et la gloire et la pipe ». Pleine de fraîcheur, la douce étoffe, absolument ravissante dans de fabuleuses vocalises, du soprano Jodie Devos crépite en Bettly, jeune montagnarde qui, faisant fi des faux-semblants, trouve l’amour à la porte de son chalet. Rendu fort vivant par son potentiel comique, le rôle est magnifié par le chant [lire nos chroniques de L’hirondelle inattendue, Pygmalion, Le nozze di Figaro, Madame Favart et Les Indes galantes, ainsi que de son CD Offenbach]. Dans ce modeste et simple asile produit un formidable effet. Remplis de la sorte du bon air alpin, la foi en l’amour paraît inaltérable, la flamme d’un cœur pur impossible à dérober, les sentiments et les émotions parfaitement en place. « Elle est à moi !... c’est ma compagne !... ». Tombé dans le panneau, berné par le village pour son amour aveugle, Sébastien Droy signe une entrée électrique, puis fait montre de courage et d’humanité dans sa composition du candide Daniel, héros voltairien. Dans les élans de bravoure, l’ardeur fébrile du ténor (presque à contre-emploi) irait même, malgré les travers désopilants, dans le sens d’une sincère confiance en son étoile pour surmonter ses peines [lire nos chroniques des Aventures du roi Pausole, d’Iphigénie en Tauride, Tom Jones, Vénus et Adonis, Colombe, L’enfance du Christ, Uthal, enfin de Philémon et Baucis].
De cet humour, qui paraît d’autant plus magistral en ces jours de privation, qui détient les clés ? À la tête du Chœur (hardi dans la bacchanale) et de l’Orchestre Symphonique (habile entre les motifs bien frappés et la progression romantique) de l’Opéra de Toulon, Guillaume Tourniaire [lire notre critique de son CD Saint-Saëns], élément essentiel du projet, fait du Chalet bien plus qu’un bon disque de confinement. « Il y a tant d’influences dans cette musique ! C’est du pain béni », nous confie-t-il, admiratif d’y trouver un chaînon entre le Théâtre des Italiens et l’inscription française de Jean-Louis Adam (1758-1846), le père d’Adolphe (1803-1856), d’Hérold et de Boieldieu, déjà plein de ce qui deviendra le meilleur Offenbach – aux Bouffes Parisiennes, il a dirigé Les pantins de Violette (1856), l’ultime opus d’Adam –, bien qu’avec encore, aux introductions, « quelques mesures un peu comme au piano de Gounod... c’est la mélodie française en devenir ! ».
Le chalet comporte de belles surprises. « Tout à la fois on trouve évidemment le brio d’Adolphe Adam et la virtuosité des chanteurs, avec des notes répétées à la manière de Rossini, ce qui est très différent, par exemple, de la romance du trio final, au début très délicat, de musique française suggérée, avec ses demi-teintes, où l’on commence à détimbrer », précise encore le chef, tout en relevant un lien, via le librettiste et le côté Blech Musik, avec L’elisir d’amore de Donizetti (1832). Et de conclure « pour tous les compositeurs de cette époque, il était très dur de s’extirper de l’influence italienne. Avec une harmonie très claire, une musique qui paraît simple, Adam ouvre les portes vers le plus beau répertoire français ».
FC