Chroniques

par jo ouaknin

Agostino Steffani
airs d’opéra

1 CD Decca (2012)
478 4732 DH
Agostino Steffani | airs d’opéra (album Mission)

S’il est une sortie discographique à se faire diversement remarquer, c’est bien l’album Mission par lequel le mezzo-soprano Cecilia Bartoli marque cet hiver ! Que dis-je « album » ?... alors que se conjuguent adroitement – et joliment – un DVD tourné au Château de Versailles au printemps dernier, un polar (Les joyaux du paradis, Éd.Calmann-Lévy) signé Donna Leon sorti en librairie quelques semaines avant le présent CD, Mission qui en scelle l’énigme en musique.

L’objet n’est certes pas des moindres : en sus des quelques quatre-vingt minutes qu’occupent vingt-cinq extraits d’opéras d’un compositeur aujourd’hui oublié (enregistrés en novembre 2011 et mars dernier à la Radiotélévision suisse italienne), il se présente comme un recueil d’épaisseur respectable, sorte de petit missel où l’on trouve une dizaine de photos d’Uli Weber savamment mises en scène (parfois sur le mode humoristique), les vers ici chantés, bien sûr (dans leur version originale italienne et leurs traductions allemande, anglaise et française), ainsi qu’un appareil de contextualisation (anglais, français et allemand ; les mélomanes espagnols et italiens peuvent le télécharger sur le site de la chanteuse) qui, sur environ quarante pages, s’articule en dix sujets : Un homme aux missions multiples ; L’absolutisme en Europe, 1648-1720 ; Hanovre, le neuvième électorat et la succession d’Angleterre ; Diplomate, espion, missionnaire ; Les voyages d’une vie ; L’amour tragique de Sophie-Dorothée et du comte Königsmarck ; Le vraisemblable et le mystérieux ; Steffani était-il un castrat ? ; Steffani et Händel ; enfin Recevoir la beauté en pleine figure.

C’est aussi que Mgr Steffani s’avère un personnage mystérieux…
Enfant issu d’un milieu modeste et doté d’une belle voix (né en 1654), il s’exerce très jeune à Rome qui bientôt le « prête » pour des opéras, notamment à Venise, sans qu’il soit aujourd’hui prouvable qu’il ait été castrat. Un prince bavarois s’entiche de ses talents et l’emmène à Munich… et de là découlera une double carrière d’ecclésiastique et de diplomate. Le musicien ? Il semble qu’aussi pourvu d’un certain génie qu’il ait été, Agostino Steffani ait pratiqué la musique en dilettante, parallèlement aux activités précitées, autrement plus prenantes. D’où le titre de l’album, Mission, qui désigne ces tâches à mi-chemin entre espionnage et relations internationales qui le menèrent de par l’Europe.

Nous découvrons une musique de bonne facture, semée de nombreux tâtonnements stylistiques qui pourraient faire regretter que Steffani n’ait pas abandonné la carrière politique pour sa pratique créatrice. Sa manière opère une synthèse assez curieuse entre l’héritage de Monteverdi, les façons grand siècle d’inspiration française et l’avènement d’un baroque tardif qui ouvrira sur le classicisme, sans pour autant s’accomplir véritablement.

La gravure montre une Cecilia Bartoli tour à tour superbe, tendre, introspective, contemplative, enjouée et « brava », sympathique surtout, qu’accompagnent I Barocchisti et Diego Fasolis. La précision de l’ornementation fait merveille, comme toujours, même dans des parties au support parfois assez faible, avouons-le (Mie fide schiere, par exemple, extrait d’I trionfi del fato). La souplesse vocale est extrême, la sensibilité admirable. Les interventions du contre-ténor Philippe Jaroussky, assez terne, laissent sur sa faim (elles ne sont pas nombreuses, cela dit).

JO