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Chroniques
Alain Damiens
Lire, entendre, transmettre
Philosophe de formation, Anne Roubet est connue pour ses activités musicales, comme interprète (piano, chant) et pédagogue (enseignement, musicologie). Elle s’entretient ici avec Alain Damiens, figure incontournable du renouveau de la clarinette et témoin précieux de l’histoire musicale des XXe et XXIe siècles.
Né le 31 décembre 1950 d’une mère répétitrice de chœur au Théâtre de Caen et d’un père qui joue un peu de jazz sur le piano droit du foyer, le jeune garçon s’épanouit, dès l’âge de neuf ans, dans l’apprentissage de la clarinette – « pouvoir être seul, et porter son attention sur l’acte de respirer, la vibration du son, ses différentes intensités : je trouvais cela merveilleux ». Son aisance au solfège et l’oreille absolue lui donnent confiance dans un avenir de musicien. Admis au conservatoire de Paris avant seize ans, il travaille surtout l’agilité avec Ulysse Delécluse, dans un climat « méthodique, sportif et militaire ». Devenu enseignant à son tour (lycée, conservatoire), il intègre Pupitre 14, puis l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg… où il s’ennuie. Par chance, Pierre Boulez est en train de former l’Ensemble Intercontemporain et Damiens réussit l’audition pour y entrer. Il en devient un pilier pour quatre décennies (1976-2016).
Grâce à ce poste, l’artiste put approcher plus d’un compositeur marquant de l’après-guerre, voire donner naissance à l’un de ses projets. Il évoque une dizaine d’entre eux dans autant de chapitres attractifs, à savoir Berio, Boulez, Carter, Denisov, Donatoni, Gaussin, Globokar, Lachenmann et Stockhausen, mais d’autres apparaissent dans des parties annexes tels Grisey, Nunes ou Xenakis. En autodidacte qui se proclame avide de connaissances, il a beaucoup appris d’eux sur l’acte de jouer, la prise en compte de l’espace, l’économie de moyens, la justesse des images, etc.
Dans ce livre enchanteur, illustré de photos parfois émouvantes, nombre d’anecdotes permettent de découvrir le créateur dans son rapport intime avec l’interprète. On y connaît mieux aussi Maurizio Pollini et Pierre Strauch, partenaires émérites, sans compter Damiens lui-même qui se confie sur ses méthodes de déchiffrage (« comme un archéologue qui reconstitue un objet fragment par fragment ») et de transmission, conscient de la souffrance de l’élève, qu’il faut affronter sans mensonge. En ces temps troublés, laissons le mot de la fin à ce travailleur exigeant : « la musique nous rend heureux parce qu’elle nous permet d’accéder à une éphémère certitude ».
LB