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Chroniques
Alain Galliari
Anton von Webern
Quelques brochures de concert, glanées çà et là, plusieurs analyses succinctes recueillies dans des notices de disques, plusieurs textes et articles essentiels signés de musicologues et de compositeurs dans des revues spécialisées et des ouvrages collectant les écrits d’un tel, les contextualisations effectuées par les livres consacrés à Berg et Schönberg ainsi qu’aux postsériels : voilà, à peu de choses près, ce que le lecteur français avait à se mettre sous l’œil s’il voulait connaître Webern autrement que par l’écoute (live ou « en boîte ») ou la lecture des partitions.
Plusieurs années durant, Alain Galliari, directeur de la Médiathèque musicale Mahler (Paris), s’est immergé dans ces années-là, de 1883 à 1945, et le parcours peu ordinaire du compositeur Anton von Webern (gardons la particule : après tout, c’est au national-socialisme qu’on doit de l’évincer, alors…). Ce passionnant volume paru cher Fayard est donc, d’emblée, LA somme que tout le monde attendait !
Sans trop appesantir son récit sur les origines familiales du musicien, tout en les évoquant scrupuleusement, Alain Galliari nous fait immédiatement plonger dans l’inspiration, dans la fin d’un romantisme encore parfaitement actif à la fin du XIXe siècle. Et c’est d’abord un artiste de ce temps-là que son livre s’ingénie à présenter. Personnalité nimbée de plusieurs mystères – celui de sa mort accidentelle, en septembre 1945, n'étant sans doute pas le principal –, le moins populaire des trois Viennois ne se laisse pas si facilement saisir ; peut-être cela explique-t-il en partie pourquoi il fallut attendre si longtemps pour qu’on se penchât vraiment sur lui. À l’aide d’une documentation foisonnante, impressionnante même, jamais utilisée d’austère manière, l’auteur organise la rencontre entre le lecteur et son sujet. Ainsi suivra-t-on Webern pas à pas, note à note, dans sa démarche créatrice comme dans ses ascensions des monts tyroliens ou ses égarements idéologiques. Plus que d’offrir une biographie ponctuée d’analyses – bien sûr, chaque opus fait toutefois l'objet d'une analyse rigoureuse dont enthousiasme la clarté –, il nous fait scruter le quotidien d’un génie au fil de chacune de ses œuvres. Au personnage de s’en trouver alors si bien campé qu’on se prendrait presque à anticiper ses réactions dans certaines circonstances que répète une vie à maints égards confuse.
En lui donnant ainsi chair et vie, Galliari contredit, avant même de s’en expliquer, l’idée toute faite selon laquelle Webern aurait été un froid formaliste. Loin des clichés qu'il bouscule poliment mais sûrement, ce livre démontre l'héritage romantique d'un musicien aperçu jusqu'alors à travers le prisme radical de la génération qui lui suivit – ne jetons pas la pierre à Pierre (osons) : les années cinquante-soixante nécessitaient la position parfois extrême qu’il a prise, dans le cénacle de Darmstadt. L'extrême modernité de l’œuvre de Webern n'est en rien antagoniste avec la conviction d'une musique empruntant les voies de la théorie dodécaphoniste qui, précisément, serait l'aboutissement de plusieurs siècles de création musicale.
Indispensable, vraiment !
BB