Chroniques

par bertrand bolognesi

Alain Galliari
Concerto à la mémoire d’un ange – Alban Berg 1935

Fayard (2013) 184 pages
ISBN 978-2-213-67825-2
Concerto à la mémoire d’un ange – Alban Berg par Alain Galliari

« Mort de Manon à Pâques, piqûre fatale à la mi-août, mort de Berg le 24 décembre… ». Entre la commande d’un concerto pour violon par le soliste étatsunien d’origine russe Louis Krasner et l’achèvement par Alban Berg du fameux Concerto à la mémoire d’un ange, il y a le décès de Mutzi, la fille d'Alma Mahler et de Walter Gropius, au printemps 1935. Cette disparition s’avère l’élément déclencheur de la composition, quand durant plusieurs semaines le musicien ne parvenait guère à se sortir honorablement d’une commande que, pour des raisons financières, il n’avait pu refuser : la nouvelle Allemagne nazie ne favorisait pas une musique qu’elle flétrissait sous le terme d’entartete et, si Berg était encore largement joué ici et là, ce n’était sans doute plus pour longtemps. Autre élément essentiel : son cinquantième anniversaire, le 9 février.

Après le passionnant Anton von Webern paru il y a quelques années [lire notre critique de l’ouvrage], puis un essai sur la foi de Liszt – Franz Liszt et l’espérance du Bon Larron [lire notre critique de l’ouvrage] –, Alain Galliari livre sa vision du Concerto à la mémoire d’un ange, la dernière œuvre du Viennois, dans lequel on vit à tort un testament. En effet, s’il est bel et bien infecté par un anthrax qui s’avérera fatal, c’est sans avoir conscience de sa fin prochaine que l’artiste a composé son ultime opus. Une piqûre d’insecte survenue durant l’été dégénèrera en furoncle, puis en furonculose généralisée, bientôt en septicémie – on avait perdu Alexandre Scriabine vingt ans plus tôt de façon comparable. Plutôt que de se résoudre à y voir un adieu au monde, l’auteur s’ingénie bien plutôt à en révéler les encodages. Car de même que le démontra Estebán Buch à propos de la Lyrische Suite (L’histoire d’un secret, Actes Sud), le Concerto se tisse dans un matériau qui conjugue lettres et chiffres pour mieux dire ce qu’il tait.

Plus qu’un hommage funèbre à la jeune fille de dix-neuf emportée par la maladie d’Heine-Medin, il faudra donc voir dans le Concerto « Dem Andenken eines Engels » le regard porté par Alban Berg sur sa vie amoureuse. Dans la partition, ce livre bref nous fait découvrir la présence chiffrée d’Helene, la compagne légitime du compositeur, mais encore celle d’Hanna Fuchs (« meine Hanna, meine Einzig-Geliebte »), épouse d’un industriel mélomane de Prague (Herbert Fuchs-Robettin) qu’il aimait désespérément par lettres depuis une dizaine d’années, de Berg lui-même, ainsi que le souvenir d’une certaine Marie Scheuchl.

De qui s’agit-il ?
Les parents de Berg possédaient une maison de campagne aux abords de l’Ossiacher See où ils emmenaient régulièrement la famille s’aérer, notamment l’été. À Pâques 1902, Alban âgé de dix-sept ans y fait la rencontre d’une paysanne qui en a trente-deux… et qui serait l’hiver prochain la mère de sa fille ! « Je certifie être le père de l’enfant prénommée Albine, née le 4 décembre 1902, et que je ne me soustrairai pas à mes obligations », reconnut-il officiellement par lettre. Mais ce n’est par un chiffrage complexe que Marie Scheuchl, son amour d’adolescent, fait son apparition dans le concerto, mais à travers la citation d’Ein Vogel auf dem Zwetschgenbaum, une chanson traditionnelle de Carinthie qui évoque le lit de la belle Maziale (diminutif de Marie en dialecte).

Un livre à lire comme une enquête – entre histoire, investigation psy’ et polar – où il reste très précisément question de musique, fort heureusement.

BB