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Chroniques
Alban Berg – Robert Schumann
Lieder
Deux cycles de Robert Schumann encadrent ici les pièces de jeunesse d’Alban Berg, Sieben frühe Lieder édités sans numéro d’opus. La chose semble tout à fait naturelle, tant le cadet paraît s’être fortement inspiré du premier. Ces trois opus composent le nouveau récital discographique du soprano allemand, Dorothea Röschmann, qu’accompagne la pianiste japonaise Mitsuko Uchida.
Liederkreis Op.39, pour commencer. C'est-à-dire douze Lieder conçus vers 1840 sur des poèmes de Josef Eichendorff, accolés au fil de leur élaboration sans réelle volonté de former un cycle. In der Fremde surprend par une prise de son de salon plutôt que de studio ou de salle de concert, même de proportion chambriste. Mais on s’y habitue vite, les musiciennes donnant peu à peu la fort agréable impression de s’être invitées à la maison.
Moins satisfaisants, par contre, les attaques incertaines de la voix et la régularité un peu clinique du piano. Il apparaît pourtant bien vite que la sensation d’instabilité survient de cette prise de son, en fait, sa courte vue créant parfois le sentiment que l’intonation ne serait pas exacte. Tant pis, cela n’empêche pas d’apprécier la musicalité déjà toute straussienne d’Intermezzo. Waldesgespräch fonctionne curieusement, avec ce piano de vaine portée et l’interprétation vocale, presque au théâtre. Le suivant ne fait pas l’affaire, trop plein de minauderie. Peu d’aura à Mondnacht, à cause de l’instrument relativement plat et de l’approximation de la chanteuse, sur les valeurs longues. La vivacité de Schöne Fremde convainc, à l’inverse. Au fond, les pages lentes sont les moins réussies, comme le prouvent encore Wehmut et Auf einer Burg, quand les plus lestes révèlent un art plus affirmé – le frémissant Frühlingsnacht et, avant tout, l’expressif In der Fremde II (8).
Dans les mêmes années, Schumann s’empare de huit poèmes d’Adelbert von Chamisso. Ils forment Frauenliebe und leben Op.22, huit stations dans une vie amoureuse. Pourquoi les artistes s’avèrent-elles plus investies ? Mystère… cette fois, nous n’entendons plus l’accompagnement laborieux d’une voix : Dorothea Röschmann et Mitsuko Uchida dont de la musique ensemble, tout simplement. Seit ich ihn gesehen gagne de suite,de même que le lyrisme gracieux d’Er, der Herrlichste von allen, dans une pâte charmante. Passons vite sur l’étrange brutalité dont souffre Ich kann's nicht fassen, nicht glauben, alors que les fiançailles planent en parfaite sérénité – Du Ring an meinem Finger. L’option choisie est celle de la naïveté, c’est évident avec Helft mir, ihr Schwestern comme avec Süßer Freund, du blickest dont l’écriture fragmentée mériterait plus de présence, tout de même. L’avant-dernier Lied appelle plus de chant, là encore, et le conclusif Nun hast du mir den ersten Schmerz getan frise ici la caricature !
Au tout début du XXe siècle, Berg couche sur le papier près de quatre-vingt mélodies dont Dietrich Fischer-Dieskau a d’ailleurs magistralement rendu compte autrefois. En 1908, sept d’entre elles sont réunies, chacune mettant en musique un poète différent, et forment les Sieben frühe Lieder que le Viennois orchestre vingt ans plus tard. Que se passe-t-il soudain ? La gravure est prodigieuse ! Non seulement la pianiste est absolument absorbée dans la manière de Berg, mais le soprano porte valeureusement l’extrême lyrisme de cette musique, laissant à peine regretter un tempo trop droit quand le mouvement appelle la souplesse. Après Nacht, le galbe Schilflied finit de détacher l’interprétation de ce cycle du reste du programme. Oublions le Nachtigall trop aigre [lire notre chronique du 14 juin 2009] et un Traumgekrönt qui lambine, les trois derniers Lieder offrant le meilleur : Im Zimmer sensuel, énigme de la Liebesode, enfin emphase de Sommertage qu’on ne se lasse de réécouter.
Un disque inégal, donc, qui conjugue autant de qualités que de mauvais points, dans une prise de son particulière ne montrant vraisemblablement pas les interprètes à leur avantage. Les grandes références du passé tiennent toujours la route !
KO