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Chroniques
Alban Berg
Wozzeck
Alors que le marché du DVD multiplie les parutions de nouvelles productions, on était assez curieux de recevoir ce spectacle filmé en 1996 à Francfort, la mise en scène d'opéra étant, à de très rares exceptions, un genre qui se démode très vite. Pourtant, force est de constater que cet enregistrement colle le spectateur à son fauteuil.
Actuel intendant du Deutsche Staatsoper (Berlin), Peter Mussbach est assez inégal dans ses réalisations scénographiques. Psychiatre, neurologue et sociologue de formation, l'homme se plaît à éclairer sous un jour nouveau les œuvres qu'il aborde. Dans ce Wozzeck, il prend le parti pris d'une stylisation minimale. Auteur également des décors, il les limite au minimum : ainsi l'antre du docteur est un parallélépipède blanc, et la seconde scène de l'Acte II, en ville, se borne à un clocher d'église oblique. Les costumes de Benedikt Ramm renforcent l'impression d'oppression de la pièce : le tambour major semble sorti d'un spectacle de marionnettes et le docteur est plus proche du vampire que du médecin. Le plus impressionnant reste l'enfant masqué de Wozzeck et de Marie, figure inquiétante, sans visage, sans âme. Les conditions de la réalisation de ce film d'opéra sont assez uniques, puisqu'il s'agit d'une représentation donnée uniquement pour les besoins de la caméra, conduite par Mussbach lui-même. Il va sans dire que le résultat est impressionnant et sans commune mesure avec ce que l'on voit actuellement sur ce support.
La réalisation musicale est vertigineuse. Grand connaisseur de l'œuvre qu'il dirige depuis ses années passées à La Monnaie de Bruxelles (dans la légendaire production de Hans Neugebauer, l'un des très rares spectacles d'opéra dont des photos sont reproduites dans les manuels scolaires), Sylvain Cambreling réussit la quadrature du cercle. Il allie la force dramatique, la conduite narrative, tout en mettant en avant la modernité de l'écriture orchestrale. Assez souvent peu inspiré, le Frankfurter Museumorchester est galvanisé par son ancien directeur musical.
Quant aux chanteurs, ils sont viscéralement possédés par leurs personnages. Personnalité charismatique, le baryton Dale Duesing fait une bouchée de la tessiture du rôle dont il rend toutes les facettes, même s'il semble parfois trop humain face au drame qui l'accable. Le soprano américain Kristine Ciesinski est une Marie au timbre idéal. Le reste du casting n'appelle que des éloges, particulièrement le capitaine machiavélique de Dieter Bundschuh et le docteur sadique du grand Frode Olsen. En conclusion, ce DVD unique, servi par une équipe d'artistes hors pair, se doit d'être un pilier de toute vidéothèque qui se respecte.
PJT