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Chroniques
Alban Berg
Wozzeck
Tout commence par un fait divers : en 1821, à Leipzig, le soldat-barbier Johann Christian Woyzeck poignarde sa maîtresse dans un accès de jalousie. L'homme est-il ou non responsable de ses actes ? Psychiatres et experts d'État répondent par l'affirmative et le coupable est exécuté trois ans après le crime. Scientifique de formation, sensible aux idées socialistes et révolutionnaires – il va connaître l'exil et la censure –, Karl Georg Büchner (1813-1837) s'intéresse à la dimension sociale de cette affaire. Mais, atteint de typhus, il meurt à vingt-trois ans sans avoir pu terminer sa pièce. Les fragments, disséminés entre plusieurs manuscrits, sont édités une première fois en 1879 sous un titre qui passera à la postérité : Woyzeck.
Le 5 avril 1914, Alban Berg assiste à la première représentation viennoise de l'œuvre. Très impressionné, il met en route quelques esquisses musicales qu'il reprend plus sérieusement en 1917, à son retour du front. Malgré de nombreuses interruptions dans son écriture, l'opéra dramatique voit enfin le jour, en octobre 1921. S'il est clairement articulé en trois actes de cinq scènes chacun, le traitement en est résolument contemporain, avec un contenu expressionniste. Dès sa création berlinoise, le 14 décembre 1925, l'ouvrage s'inscrit au répertoire, malgré la propagande nazie qui condamne son antimilitariste tendancieux, ne pouvant l'écarter que le temps du pouvoir.
Reprenant une production hambourgeoise de 1970, ce film met en scène la vie de garnison dans un château du sud de l'Allemagne, avec ce problème d'esthétique que souligne Rolf Lieberman : « Alors qu'en matière de télévision, il s'agit en premier lieu de rendre la réalité telle qu'elle est, l'opéra est en revanche un art stylisé. Comment faut-il donc s'y prendre pour qu'ils se rejoignent ? » Effectivement, la structure du livret se prête à merveille au cinéma, cette cité labyrinthique est kafkaïenne à souhait, mais lorsque le Tambour Major roule des yeux et qu'un ivrogne frise la caricature, on sent le décalage. Malgré tout, rendant l'entière cruauté du propos, le film de Joachim Hess est prenant.
D'une direction rapide, lyrique et leste, Bruno Maderna accompagne des interprètes idéaux. Précis, souple, et jouissant d'un chant impacté à l'aigu superbe, Gerhard Unger incarne un Capitaine qui abuse de sa position hiérarchique. Avec un timbre riche et une belle voix mixte, Hans Sotin est un Médecin à l'autorité effrayante. Face au duo moraliste, le côté humble et modeste du rôle-titre éclate, d'autant que le chant de Toni Blankenheim s'avère un peu sourd et discret. Sena Jurinac (Marie) possède une assise grave touchante, et Peter Haage (Andres) un chant clair et juvénile. Seul déçoit le Tambour peu nuancé de Richard Cassily.
LB