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Chroniques
Alban Berg
Lulu
Dans Opéra – Éros et le pouvoir qui paraît en ce mois de septembre chez Fayard, Dominique Jameux consacre (bien évidemment…) un des quatre chapitres majeurs de son essai à l’ouvrage inachevé de Berg (1885-1935). Il y rappelle comment celui qui deviendrait l’élève de Schönberg à partir de l’automne 1904, attelé au contrepoint et à la structure alors qu’il n’est « qu’effusion post-adolescente », passe l’été 1903 dans la propriété familiale du Wörthersee, en baignades et lectures, entouré de sa sœur cadette Smaragda (futur modèle de la comtesse Geschwitz ?) et de la jeune américaine Miss Frida, hôte payante. Une longue correspondance démarre avec cette dernière, qui contient notamment cette confession de septembre 1907 – des mois après avoir vu de La boîte de Pandore, enfin représentée à Vienne, le 29 mai 1905 :
« Wedekind ! La direction vraiment nouvelle – l’accent mis sur la sensualité dans les ouvrages modernes !!... Nous en venons enfin à l’idée que la sensualité n’est pas une faiblesse, ne signifie en aucune manière la reddition de notre propre vouloir, mais qu’elle est plutôt une immense force qui repose en nous – le pivot de tout ce qui est et de tout ce qui pense (oui : de tout ce qui pense !). Seuls la compréhension de la sensualité, le regard fondamental porté sur « les profondeurs de l’humanité » (ne devrait-on pas plutôt dire : les « hauteurs » ?) – parviendront à une idée réelle de l’âme humaine… ».
Mettre en scène Lulu pose toujours le choix du dosage de cette sensualité – ou libido, si l’on veut traduire les mots force et pivot employés par le jeune compositeur à la veille d’écrire sa Sonate pour piano Op.1 (1908). On peut l’évoquer par un certain symbolisme comme le fait Willy Decker [lire notre chronique du 21 octobre 2011], un expressionnisme esthétisant à la Peter Stein [lire notre chronique du 20 avril 2009], une vision toute d’abstraction tel Christof Loy [lire notre critique du DVD], voire simplement décorative façon Peter Mussbach [lire notre chronique du 14 juin 2003] ou dévoilant une bonne dose de pornographie, à l’instar d’Olivier Py [lire notre chronique du 4 février 2010].
Pour Salzbourg [lire notre chronique du 4 août 2010], s’appuyant sur les décors du peintre Daniel Richter, Vera Nemirova plonge l’ouvrage dans une caresse fauviste qui n’empêche ni l’évolution de cette option (sapins enneigés autour d’une cahute londonienne), ni le pur renoncement à la séduction visuelle (début de l’Acte III joué dans la salle), ni enfin une véritable direction d’acteurs (sublime confrontation du Peintre avec Schön). Notre seule réserve concerne la scène de jalousie de ce dernier, au milieu de figurants rampants, en sus des prétendants cachés. Nemirova n’est pas la première à succomber à cette débauche : en 2007, Carsen avait déjà offert un haras identique à une Vénus wagnérienne. En fosse, les Wiener Philharmoniker sont attentifs aux contrastes expressifs ménagés par Marc Albrecht – tantôt lyriques, tantôt tranchants.
Habituée au rôle-titre, Patricia Petibon agace tout d’abord, sur-jouant de son minois digne d’un Klaus Nomi en pension à Arkham Asylum. Puis le personnage gagne en intériorité, et la déclaration au Docteur s’avère même émouvante. Les aigus sont là, mais aussi quelques notes miaulées ou ratées. Pavol Breslik (le Peintre) offre un jeu naturel et un chant efficace, tout comme Michael Volle (Dr Schön) et Thomas Johannes Mayer (L’Athlète), des plus vaillants. Plus instable, Thomas Piffka (Alwa) est néanmoins nuancé. Franz Grundherber (Schigolch) possède le vibrato d’un chanteur de son âge, mais reste sonore, tout comme l’aîné de la production, Heinz Zednik (Le Prince). Cora Burggraaf ne déçoit pas en Lycéen mais nous lui préférons Tanja Ariane Baumgartner (Geschwitz), au chant large et onctueux.
LB