Chroniques

par laurent bergnach

Alberto Posadas
Sombras

1 CD Naïve (2017)
V 5442
Le Quatuor Diotima, pilier du cycle Sombras d'Alberto Posadas (né en 1967)

Ouverte par une plongée dans la musique de chambre de Miroslav Srnka [lire notre critique du CD], la propre collection du Quatuor Diotima chez Naïve se poursuit dans l’univers intimiste d’Alberto Posadas. Né à Valladolid en 1967, le Castillan y commence ses études avant d’étudier la composition à Madrid, auprès de Francisco Guerrero (1951-1997). On imagine l’influence du passionné d’électronique et de figures fractales sur son cadet qui en vint à explorer longuement la « micro-instrumentation », concept fondé sur l’idée d’acquérir des matériaux musicaux en recourant à ce que les instruments offrent à l’échelle microscopique.

Le 26 avril 2013, en compagnie du soprano Sarah Maria Sun et de Carl Rosman à la clarinette, les Diotima créaient Sombras aux Wittener Tage für neue Kammermusik (Allemagne). Il s’agit d’un cycle de cinq pièces écrites entre 2010 et 2012, enregistré à Cologne l’année suivante par les mêmes interprètes, et qui charpente le présent programme. Quelques années après Cuatro escenas negras [lire notre chronique du 19 juin 2009], nous retrouvons le créateur poursuivant sa quête loin du soleil.

Touffu mais sculpté, Elogio de la sombra (Royaumont, 2012) offre volutes et bourdonnements plus ou moins appuyés, avec quelques étapes d’immobilité (gelure d’harmoniques, goutte à goutte d’une pincée de pizz’, sirène). Souvent lumineux, les quatre archets côtoient au plus près les ombres lors d’un passage tout de craquements et gémissements, à l’aube du dernier quart de l’œuvre. Dès lors règne une agitation plus sèche que nébuleuse, des décharges plutôt qu’un flux. Avec ses vocalises plaintives, le soprano rencontre un alto frémissant dans le fugace Tránsito I (Witten, 2013).

« Malade des instants qui s’arrêtent, vers vous, ombres passagères, j’étends les bras, épuisez-moi dans votre danse, enlevez-moi le regret de l’immortalité, desséchez mes fautes dans votre chaos, dissipez les arômes purs de mon âme » ; c’est ainsi qu’Emil Cioran (1911-1995) expose une relation antagoniste avec les ténèbres dans Le livre des leurres (1936). Sûre d'elle, Sarah Maria Sun chante l’auteur dans sa langue natale, le roumain. Pour José Luis Besada qui signe la notice du disque, on peut trouver une filiation entre La tentación de las sombras (Madrid, 2011) et le deuxième quatuor de Schönberg (1908).

Tránsito II (Witten, 2013) invite le soprano à un nouveau duo. Le chant s’y fait plus aérien qu’ailleurs, comme si le contaminait la relative jovialité de la clarinette. Carl Rosman s’empare ensuite d’une clarinette basse pour dialoguer avec les quartettistes. Page la plus ancienne du programme, Del reflejo de la sombra (Donaueschingen, 2010) est de fait souvent jouée, voire enregistrée [lire notre chronique du CD]. C’est aussi la plus monotone. Il est dommage qu’elle serve à conclure cette brillante mosaïque, mais rassurant qu’elle appartienne à une période révolue de son auteur.

LB