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Chroniques
Alessandro Solbiati
musique de chambre
Dans la foulée d’un concert monographique par lequel Ex Novo célébrait, en novembre 2016, le soixantième anniversaire d’Alessandro Solbiati, les musiciens de cet ensemble ont enregistré quatre opus chambristes du compositeur lombard, « des pièces de qui me sont particulièrement chères et que contrastent l’instrumentarium choisi, les timbres et la forme », précise Solbiati lui-même dans la notice du CD. Sans suivre la mise en plages réalisée par le label Stradivarius, cette recension s’attache à l’ordre chronologique d’écriture. Ainsi commence-t-elle par Dieci pezzi pour accordéon,deux violons et violoncelle, une œuvre achevée en 1996. Vigoureusement incisif, Energico, la première de ces dix pièces brèves, réunit les quatre musiciens – Luca Piovesan à l’accordéon, Carlo Lazari et Annamaria Pellegrino aux violons, Carlo Teodoro au violoncelle. En à peine plus d’une minute (le n°1 est le plus court) un embryon de lyrisme surgit cependant.
La deuxième, Presto, abandonne l’un des violons, se faisant du coup trio. L’indication de tempo ne saurait à elle seule donner idée d’un épisode tendu mais point bondissant ni furieux, une nature quasi aphoristique traversant celui-ci comme les neuf autres. La discrète nervosité intrinsèque invite une expressivité effective. Quatuor au complet, pour Sognando dont le dessin affleure la sûre incertitude des songes (En rêvant, dit le titre). Alla danza restreint l’effectif à deux, dans un geste altier qui use du vent pour articuler l’archet, pour ainsi dire. La page la plus développée du recueil est un solo de quatre minutes dévolu à l’accordéon. Soigneusement placé au cœur de la suite, Vivente avance, quant à son premier tiers, dans une intrigante aura organistique, fort calme. Une section rythmique et fragmentée fronce ensuite les sourcils, la dernière partie s’apaisant en un doux chemin d’accords, seulement esquissé, tout cela dans une maîtrise admirable d’une subtile polyphonie à un seul. Les deux violons retrouvent le soliste dans Dolcemente (n°6) où les uns semblent imiter les autres quand, pour finir, s’élève un chaleureux mélisme de… clarinette-fantôme. Le second Presto de l’édifice rassemble tous ses officiants pour un Omaggio a Franco Donatoni, l’un des maîtres de Solbiati (à Sienne, entre 1977 et 1980). Ici, le soliste s’annonce péremptoire, puis une mécanique obsessive impose le babil des cordes, une tonicité renouvelée gagnant les accords presque hymniques de la conclusion. Autre duo, pour accordéon et violoncelle, cette fois : Oscuro hésite sourdement puis donne naissance à une phrase dolente des cordes. Après l’exploration des « différences d’épaisseur et de registre », les neuvième et dixième pièces reviennent au quatuor. Sur le souvenir atténué de l’attaque de la première se greffe Tempo di Valzer, précieux élan réduit à l’essentiel. Dédié au compositeur et claveciniste Ruggero Laganà, Presto incalzante tisse un chant prudent, effacé par l’ultime oxydation de l’instrument soliste. « Pendant un après-midi avec le jeune accordéoniste Mirko Ferrarini, j’ai découvert les timbres innombrables, les possibilités d’articulation et de dynamique de l’accordéon » : de là naquit ce portrait en Dieci pezzi.
En 2013, Alessandro Solbiati revient au trio à cordes, plus de vingt ans après un premier Trio d’archi créé aux regrettées Rencontres Internationales de Musique Contemporaines de Metz, le 15 novembre 1991. Durant ces dix-sept ans, de nombreux opus virent le jour, parmi lesquels Memoriam pour orchestre [lire notre chronique du 3 juillet 2005], Ach, so früh pour soprano et ensemble [lire notre chronique du 2 novembre 2003], les Interludi pour piano [lire notre critique du CD] et Nora pour quatuor avec cymbalum [lire notre critique du CD]. Secondo trio d’archi est une commande du Trio Stauffer qui l’a créé à Sienne. Sur le modèle de la Lyrische Suite pour quatuor d’Alban Berg, une arche expressive s’érige au fil des trois mouvements. Ouvert dans une urgence autoritaire, le Presto ressasse ensuite un motif, jusqu’à jouer avec la perception qu’on en peut avoir. Un pas nonchalant paraît conduire l’Allegretto moderato, sans qu’aucune danse parvienne à s’installer, le climat étant régulièrement interrompu par des cris d’effroi. Inaridito, disperso « disperse en un désert sans issue des lambeaux de sons, de rythmes, de gémissements ». Une déploraison désolée finit la partition. Aux violons de Carlo Lazari et violoncelle de Carlo Teodoro s’est joint l’alto de Francesco Lovato.
En 2018 l’ensemble Hélios créait à Paris Guernica, au Musée Picasso. « La structure de la pièce est très étroitement liée à ce chef-d’œuvre de l’art pictural. Le tableau montre six personnages divisés en trois paires : deux femmes, deux hommes et deux animaux. Chaque couple contient une figure tragique – la femme avec l’enfant tué, le soldat mourant, le cheval blessé – et une figure dramatique – la femme en fuite, l’homme qui lève les bras, le taureau impassible. Ainsi, en tentant d’appliquer en musique la nuance entre drame et tragédie, ai-je construit six situations musicales dont chacune est liée à une figure. Ces situations se succèdent plusieurs fois, revenant dans une tension tournoyante, comme si le tableau nous happait de plus en plus vite en son pouvoir. Si vous y regardez de plus près, vous voyez deux sources d’espoir dans la toile : une ampoule allumée et un bras qui tend une torche. Aussi, dans le tourbillon, une résonnance amorce-t-elle à plusieurs reprises le développement d’un élément de lumière qu’incarnent les figures archétypiques de la mélodie et de la musique chorale », explose Solbiati [traduit de l’italien par le chroniqueur]. L’impressionnante énergie de Guernica – pour flûte(s), violon alto et violoncelle – accueille des figuralismes évidents, comme le sifflement des bombes ou le sinistre vrombissement des cinquante-sept avions qui détruisirent le ville basque le 26 avril 1937.
En dénommant Novus l’œuvre commandée par Ex Novo pour le concert fêtant son soixantième anniversaire, Solbiati affirme tant et toujours sa volonté d’avancer vers la nouveauté. À l’origine, Per Aldo, une pièce pour flûte, clarinette, piano, violon, violoncelle, écrite en 2010, que l’ensemble Divertimento a créé au Château Caetani de Sermoneta, le 1er juillet 2011, dans le cadre du Festival Pontino, trois mois après la disparition du compositeur Aldo Clementi. Elle intègre des éléments stylistiques chers à ce dernier, ainsi qu’une citation des Moments musicaux de Schubert, en référence à l’avis élogieux qu’il donnait lors d’une émission radiophonique de leur orchestration effectuée par son cadet. Dans Novus, ce Sospeso, nebbioso délicat est suivi d’un énergique Febbrile anamorphique de la forme sonate – « mon rapport ironique et souriant avec la tradition ». On retrouve avec avantage le flûtiste Daniele Ruggieri qu’entourent les instrumentistes précités ainsi que le clarinettiste Davide Teodoro et le pianiste Aldo Orvieto.
BB