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Chroniques
Alexander von Zemlinsky
Eine florentinische Tragödie | Une tragédie florentine
Créé au Hoftheater de Stuttgart en 1917, Eine florentinische Tragödie, l'acte d'opéra du Viennois Alexander von Zemlinsky fut écrit sur un livret allemand de Max Meyerfeld (joué au théâtre en 1906), à partir du texte d’Oscar Wilde, disparu à Paris en 1900. Le compositeur retrouverait d'ailleurs le compositeur avec Der Zwerg, créé cinq ans plus tard à Cologne (même sujet que Der Geburtstag der Infantin de Franz Schreker, créé en 1908).
De retour d'un voyage d'affaires, le marchand Simone trouve chez lui le jeune prince Guido Bardi trinquant avec sa propre femme. Avec grande finesse, il joue tour à tour la servilité ou la naïveté, puis profite de la situation pour vendre toutes ses marchandises au rival, signifiant qu'il n'y a guère que sa femme qu'on ne puisse vendre, car elle serait sans valeur (on retrouve ici à l'inverse un motif de König Kandaules). Il s'absente un moment au jardin : les amants prennent date pour le lendemain. Simone revient alors et durcit le ton : il provoque le prince en duel et le tue. Après le crime, l'énigmatique Bianca retrouve son mari qu'elle découvre ne pas connaître (Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu étais si fort ?), de même que l'adultère faisait percevoir à Simone la beauté ignorée de sa femme (Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu étais si belle ?).
C'est lors des Figures d'ouverture de la saison 2003/2004 de Radio France que cet enregistrement fut saisi, le 13 septembre, à la maison ronde. Ce soir-là, Iris Vermillon était Bianca, Albert Dohmen le marchand Simone, et le prince Bardi était chanté par le ténor Viktor Lutsiuk. Les musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France étaient alors placés sous la direction d’Armin Jordan. Dès le prélude, le chef suisse révèle un lyrisme exacerbé que la tension terrible de l'ouvrage va maintenir durant une heure. Les dosages sont précis, les couleurs soignées, la pâte sonore construite à partir du plus petit jusqu'au plus grand, comme toujours avec Jordan, offrant des alliages délicatement ciselés. La passion est présente d'un bout à l'autre, dans une urgence dramatique plutôt rare au concert. Ainsi l'arrivée de Simone est-elle pleine de danger.
Ici, la voix de Dohmen est littéralement obsédante. On en connaît le timbre corsé et très présent : il lui fait sous-entendre exactement ce qu'il veut, avec une maîtrise parfaite de l'expressivité. Les plaisanteries prennent parfois un jour menaçant où la couleur change jusqu'à l'agressivité, de même que dans l'évocation du vol, la misère de la perte envisageable de Bianca devient soudain palpable. Bref, avec un tel éventail de nuances, son Simone est exceptionnel. En revanche, le Guido de Lutsiuk s'avère disgracieusement nasalisé, avec un vibrato relativement hasardeux. Mais dans le duo de la promenade, lorsqu'il s'agit de douceur, de raffinements voluptueux, de délicatesse, il est tout simplement superbe, et nous fait comprendre un choix de distribution qui a pu surprendre de prime abord. Bref, c'est la vaillance et la fermeté qui lui seyent mal. Quand à Iris Vermillon, elle attribue à Bianca une grande richesse de couleur, un timbre expressif, mais aussi une instabilité incontestable.
BB